Un complément d'antidote
contre l'hérésie sédévacantiste,
par... saint Bernard de Clairvaux
"Quand tu parles de discussion, rien n’a de saveur pour moi,
si je n’y entends pas résonner
le nom de Jésus"
(saint Bernard)
J'écris désignation ET reconnaissance en séparé, car en fait, cet acte majeur de la vie de l'Église de se choisir une nouvelle tête visible, quoique unique et indivisible dans l'ordre théologique, se décompose ordinairement dans l'ordre humain chronologiquement en deux temps, comme je l'ai bien expliqué dans L'Impubliable, mon ouvrage de fond sur la théologie de "la crise de l'Église" (https://eglise-la-crise.fr/images/stories/users/43/LImpubliableCompletTERMINUSDEFINITIF7meEdition2015.pdf), à savoir : 1/ la désignation, qui se fait dans le sein du conclave, lorsque celui-ci est théologiquement achevé quand le nouvel élu accepte son élévation au Souverain Pontificat ; 2/ puis, la très-solennelle reconnaissance du nouvel élu au Siège de Pierre par l'Église Universelle à la face de l'Église Universelle, qui est actée, généralement le dimanche dans l'octave de la désignation conclavique, par l'obédience rituelle faite publiquement par tous les cardinaux au pape actuel nouvellement élu. Voilà l'ordre théologique habituel, toujours respecté (sauf rarissime cas d'exception, comme on l'a vu dans mon dernier article avec le cas du pape Vigile, puisque, pour lui, il n'y eut pas d'élection au Siège de Pierre par le haut-clergé romain et donc pas de désignation de sa personne pour être le pape actuel, mais seulement, de la part dudit haut-clergé romain, une reconnaissance ecclésiale universelle a-posteriori de sa qualité de pape actuel).
Il est bon de remarquer, pour bien montrer l'importance capitale que revêt cet acte pour la vie de l'Église militante, que non seulement la désignation conclavique mais la reconnaissance ecclésiale universelle sont tous deux dotés de l'infaillibilité, alors qu'en fait, même La Palice aurait pu le dire, une seule infaillibilité suffit bien évidemment pour garantir à l'acte... l'infaillibilité, c'est-à-dire d'avoir toujours la certitude absolue et irréfragable d'avoir un pape actuel légitime et de savoir qui il est. Le Saint-Esprit montre par-là qu'Il veut le caractère de certitude absolue pour les fidèles d'avoir un vrai pape actuel, et de savoir qui il est.
... Mais alors, pourrait-on se demander, pourquoi la nécessité de deux actes humains, pour fonder cette certitude absolue d'avoir un vrai pape légitime actuel, et non un seul ? Comme je l'expliquais déjà il y a plus de vingt-cinq ans dans L'Impubliable, la désignation peut théologiquement être comparée au baptême, quand la reconnaissance peut non moins l'être à la confirmation. Et tous les deux, couplés, assurent une légitimité au nouvel élu au Siège de Pierre, certaine de toute certitude, à telle enseigne qu'il n'existe pas au monde une seule certitude plus grande, plus sûre ni plus absolue d'une chose, que celle d'avoir un pape légitime actuel, verus papa, dès lors que ce double-acte humain doté de l'infaillibilité, qui n'en fait théologiquement qu'un, est posé sur le nouveau pape.
Saint Bernard de Clairvaux
(1090-1153)
Mais voici comment j'exposais au long cette très-intéressante question, qui est très-actuelle (... et de plus en plus), dans L'Impubliable :
"Il y a même rapport théologique entre la désignation du nouveau pape ayant dit «oui» à son élection dans le conclave, et la reconnaissance cardinalice du nouveau pape au nom et pour le compte de l'Église Universelle (cérémonie qui se confond avec celle de l'intronisation ou couronnement de l'élu), qu'entre le sacrement de baptême et celui de confirmation. Le nouveau baptisé, certes, est déjà dans l'Église, tout-à-fait de la même manière que la création du nouveau pape est déjà parfaitement consommée dans la désignation de l'élu qui a dit «oui» lors du conclave, mais le nouveau baptisé n'est pas un membre achevé du Christ (il n'est qu'un enfant de la Foi sous tutelle), il ne le devient que lorsque le sacrement de confirmation vient terminer en lui ce que celui du baptême a opéré. C’est d'ailleurs bien pourquoi, dans les premiers temps de l’Église, on donnait les deux sacrements en même temps. C’était amplement justifié car aux premiers siècles chrétiens il y avait beaucoup de baptêmes d’adultes et de plus, ces adultes pouvaient du jour au lendemain être appelés au martyre : il leur fallait donc, dès leur entrée dans l'Église, la plénitude de la grâce du Saint-Esprit pour pouvoir donner leur vie au Christ. Mais bien sûr, après la conversion de Constantin, cette raison disparaissait et en outre le baptême des enfants devenait majoritaire, donc la collation du sacrement de confirmation en même temps que celui du baptême ne se justifiait plus (la coutume de collationner les deux sacrements en même temps a cependant été conservée dans certains diocèses jusque dans notre période moderne, témoin par exemple, le jeune Nunzio Sulpricio béatifié par Paul VI en 1963, qui fut baptisé et confirmé en même temps dans une province italienne, au début du XIXe siècle).
"Or, de la même manière, l'élu d'un conclave qui a dit «oui» à son élection est certes déjà pape, mais l'Église Universelle ne le connaît pas encore, il ne lui est pas encore révélé et manifesté, il ne l'est qu'à partir de la cérémonie d'intronisation, dite encore de couronnement ou d'«adoration» cardinalice, qui consacre officiellement son entrée en charge, le réputant solennellement pape devant toute l'Église, cérémonie par laquelle la reconnaissance ecclésiale universelle du nouveau pape s'opère formellement : il devient alors un pape confirmé, au sens théologique du terme. Le contenu de cette cérémonie «glorifiant» le pape devant l'Église Universelle, qui avait lieu obligatoirement un dimanche, jour solennel bien significatif et souvent choisi dans l'octave de l'élection (ce que du reste la coutume exigeait dans les premiers âges ecclésiastiques), variera beaucoup au cours des siècles, elle sera d'ailleurs doublée par la possesso du Latran qui faisait du nouveau pape l'évêque de Rome, voire précédée du sacre épiscopal si le nouveau pape n'était pas évêque (ce qui était toujours le cas avant le XIe siècle puisque, avant cette époque, les translations de siège étant interdites, "on n'élisait jamais un pape qui fut déjà évêque" — Le Conclave, Lucius Lector, 1894, p. 661).
"Mais ce qu'il faut retenir sur le plan théologique, ce sont les deux temps forts essentiels de la création d'un pape : 1/ au sein du conclave, la désignation cardinalice du nouveau pape par son élection approuvée par l'élu, immédiatement après laquelle il y a déjà une première obédience des cardinaux (mais seulement en leur nom personnel et privé, pas encore au nom et pour le compte de l'Église Universelle), puis, très-peu de temps après, généralement le dimanche dans l'octave de l'élection, 2/ la reconnaissance ecclésiale universelle du nouveau pape, qui s'opère ordinairement par l'«adoration» cardinalice, au sein de la cérémonie d'intronisation et de couronnement.
"Cette cérémonie est, à juste titre, la plus solennelle qui puisse exister en Église et qui y exista durant les siècles chrétiens anté-vaticandeux : «Le cortège pénètre dans la Basilique [du Latran], pendant que du haut de la Loggia de bénédiction, la garde-noble fait sonner sa fanfare. Le pape est porté d'abord dans la chapelle du Saint-Sacrement où il fait son adoration et d'où il se rend (toujours sur la Sedia gestatoria) vers la nef de gauche, dans la chapelle de saint Grégoire. Le trône est dressé dans cette chapelle qui marque l'emplacement de l'ancienne sacristie, et dès que le pape s'y est assis, il reçoit l'obédience des cardinaux, des patriarches, évêques et prélats présents à la cérémonie ["[le nouveau pape] reçoit l'obédience des cardinaux auxquels il donne sa main à baiser et remet, en guise de presbyterium, les deux médailles d'or et d'argent frappées à son effigie, que tout nouveau pape offre à chacun des membres du Sacré-Collège" ― Lector, p. 695]. Après quoi, la messe pontificale commence ; mais, après le Confiteor, le nouveau pape reçoit l'imposition du Pallium (…). Sur ce, le pape revenant à l'autel fait l'encensement prescrit et se rend au trône pontifical où il reçoit la dernière obédience des cardinaux et continue la messe» (Lector, pp. 673 & 674 — Précisons qu'après l'abandon de la triple-tiare par Paul VI en 1963 quelques mois après son propre couronnement, acte certes plus que répréhensible mais tellement significatif de la démocratisation hétérodoxe des papes modernes, pas seulement dans l'ordre politique mais donc dans l'ordre ecclésial, suite par trop prévisible de leur concordatisme avec les États post-révolutionnaires démocratiques -ils se sont d'abord démocratisés politiquement, puis, cela s'est transvasé dans l'ordre ecclésial-, le couronnement fut logiquement supprimé dans le décret sur les élections pontificales de 1975 puisque devenu sans objet).
"Ces rites, que nous ne rapportons évidemment pas dans un vain but d'érudition, ont une très-grande importance. L'«adoration» cardinalice pendant la cérémonie de couronnement du nouveau pape ("Vers la fin du XIIIe siècle, l'intronisation [à la Basilique du Latran] perd de son importance et tend presque à disparaître au profit de la cérémonie du couronnement. Les élections plus fréquentes hors de Rome, et bientôt le séjour des papes à Avignon, amènent ce résultat" ― Lector, p. 690), faite donc cette fois-ci non plus en leur nom propre mais au nom de l'Église Universelle, est si importante, qu'elle est répétée, on l'aura remarqué, deux fois dans la cérémonie…! Si l'on y ajoute celle ayant déjà eu lieu dans le sein conclavique même juste après l'élection approuvée par l'intéressé, il y a donc en tout trois «adorations» cardinalices rituelles du nouveau pape actuel, et il n'est pas interdit d'y voir une sorte de perfection trinitaire de l'acte accompli. C'est assez dire l'importance dans laquelle l'Église tient l'acte de reconnaissance ecclésiale universelle du nouveau pape actuel par les cardinaux.
"Cet acte est si important sur le plan théologique, que la coutume a été prise, depuis la décision du pape saint Léon IX (1048-1054), de dater le pontificat du jour du couronnement ou intronisation ou «adoration», et non à compter de celui de l'élection ou encore celui du Sacre épiscopal éventuel, donnant donc, comme on le voit, plus d'importance à la «confirmation papale» qu'au «baptême papal», ce qui corrobore dans les faits la loi théologique bien exposée par saint Alphonse de Liguori, à savoir que la reconnaissance ecclésiale universelle SUFFIT À ELLE SEULE pour valider une élection pontificale (ce que du reste a magistralement confirmé, on l'a vu, le cas du pape Vigile). Et «cet usage a persisté, en dépit de la Constitution Cum esset du 15 décembre 1633, dans laquelle Urbain VIII cherchait à faire prévaloir la date de l'élection» (Lector, p. 667). Je termine ce zoom sur la question en reportant le lecteur aux savants et si instructifs travaux de Lucius Lector, pseudonyme d'un cardinal écrivant sous le pontificat du pape Léon XIII, sur toutes ces cérémonies suivant l'élection pontificale (cf., notamment, les très-instructifs ch. XVI à XVIII de son livre Le Conclave, qu'on peut encore trouver facilement sur Internet ; voyez par exemple au lien suivant : https://www.abebooks.fr/servlet/SearchResults?an=lucius%20lector&tn=conclave%20origines%20histoire%20organisation%20legislation&cm_sp=mbc-_-ats-_-all).
"La sigillographie illustre très-bien, elle aussi, l'importance plus grande, quant à la légitimité pontificale, de l'acte de reconnaissance ecclésiale universelle sur celui de l'acte de désignation du nouveau Pontife romain actuel, par son élection conclavique : «Aux XIIIe, XIVe et XVe siècles, les papes ont utilisé, entre leur élection et leur couronnement un sceau de plomb incomplet, la demie-bulle (bulla dimidia, blanca, defectiva), ne comportant pas leur nom au revers ("mais seulement les effigies des saints Pierre & Paul" ― Lector, p. 666). Les actes ainsi scellés présentaient des particularités rédactionnelles : dans la suscription, le nom du pape était suivi du mot electus, la formule suscepti a nobis apostolatus officii remplaçait dans la date les mots pontificatus nostri, et une clause spéciale expliquait les raisons de l'emploi de la demi-bulle. Le plus ancien original connu scellé de cette façon est un acte de Grégoire X du 4 mars 1272» (Dictionnaire historique de la papauté, Levillain, art. "bulle", p. 240, col. 1).
"La reconnaissance officielle par l'Église Universelle du pape nouvellement élu par l'organe canoniquement unanime du Sacré-Collège cardinalice, fondement théologique de la cérémonie du couronnement et de l'intronisation, est un constituant intrinsèque si important de la Légitimité pontificale, qu'un pape mort seulement quatre jours après son élection, sans avoir pu être «adoré» pontificalement par les cardinaux, ne fut tout simplement pas inclus dans la liste officielle des papes durant tout le Moyen-Âge, comme s'il ne l'avait pas vraiment été, thèse d'ailleurs soutenue comme on l'a vu par saint Alphonse de Liguori qui professe qu'un pape n'est pas pape tant que l'acte de reconnaissance ecclésiale universelle de son élection par les cardinaux n'est pas intervenu (à tort cependant, puisque le nouveau pape est verus papa comme dit Pie XII, dès son élection ; "même sans intronisation en bonne et due forme" précisait déjà Nicolas II dans son célèbre décret de 1059) : il s'agit d'Étienne II (mars 752). Et Lucius Lector, de préciser : «Il en est de même, probablement, d'un Jean XV en 985 ; plus tard, le cas se reproduit encore pour Urbain VII (1590)» (Lector, p. 661, note 1).
"Enfin, il ne va pas être inutile de préciser que cette loi de l'infaillibilité de l'acte de reconnaissance ecclésiale universelle du nouveau Vicaire du Christ actuel par le haut-clergé de Rome dans sa majorité canonique des deux/tiers, est si fondamentale à la Constitution divine de l'Église, que dès les tout premiers canons législatifs en matière d'élection pontificale, pourtant bien embryonnaires, elle est immédiatement formulée : «Par un rescrit inséré dans les collections du droit canonique, [l'empereur] Honorius décida [en 422, sur expresse requête du pape saint Boniface 1er (418-422) qui avait eu maille à partir avec un antipape lors de son élection] “qu'en cas d'élection contestée entre deux prétendants [au Siège de Pierre], aucun d'eux ne sera évêque [de Rome, c'est-à-dire pape], mais seulement celui qu'une nouvelle élection désignera d'un consentement universel” (Décret de Gratien, cap. si duo. 8, dist. 79)» (Lector, p. 19).
"Certes, nous étions là en des temps héroïques où le droit s'élaborait, il ne sera pas retenu dans la suite l'annulation ipso-facto des deux élections sous le seul motif qu'il y a compétition, loi en effet fautive parce qu'elle met sur le même rang le juste et l'impie. L'histoire d'Innocent II et d'Anaclet, que nous allons voir tout-de-suite et dans laquelle saint Bernard interviendra magistralement, va le prouver : lorsque l'anti-pape fut définitivement débouté de ses iniques ambitions, Innocent II ne fut pas réélu, sa première élection étant tenue pour suffisante ; idem pour toutes les autres affaires de pape en face d'antipape, résolues sans tenir compte de cette loi fautive. Par contre, le grand-schisme d'Occident fait exception à la règle en remettant cette loi en vigueur : le concile de Constance procède à la démission des trois prétendants au Siège de Pierre comme un préliminaire absolument nécessaire à l'élection subséquente d'un nouveau pape, qui s'avèrera être Martin V : pour autant, à la vérité, l'élection de ce pape terminant ledit grand-schisme ne fut valide qu'en raison très-directe et immédiate de l'abdication volontaire de Grégoire XII, successeur légitime du légitime Urbain VI.
"Mais par contre la loi de l'acte de reconnaissance ecclésiale universelle sur un tel comme pape le faisant certainement pape, verus papa, bien formulée comme on le voit dès les toutes premières ébauches législatives en la matière (l'érudit auteur que nous citons l'a bien noté, lui aussi : "Remarquons aussi, en passant, que ce rescrit prévoit le consentement unanime pour cette élection [pontificale]"), non seulement se maintiendra en tous temps mais s'épanouira jusqu'à être considérée comme la règle prochaine de la Légitimité pontificale par-dessus et par-avant toutes les autres lois d'ordre canonique, et même comme le seul criterium vraiment authentique ou règle prochaine de la Légitimité pontificale, comme n'hésite pas à le professer saint Alphonse de Liguori, ainsi que, nous n'allons pas tarder à le voir, saint Bernard de Clairvaux, après quelques tâtonnements de départ quant à lui, lorsqu'il prend en mains l'affaire du pape Innocent II et de l'antipape Anaclet II. Car cette loi, quant à elle, prend sa source dans le droit divin auquel sont subordonnées toutes les lois de droit canon (c'est ce que va finir par fort bien saisir saint Bernard dans l'affaire d'Innocent II).
"Soixante-dix ans après le décret d'Honorius, et c'est à nouveau, en ces temps bougrement bousculés, l'élection quasi simultanée d'un antipape en face de Symmaque, vrai pape (498-514). Une fois l'antipape évincé (… par la grâce du roi goth arien Théodoric alors maître de l'Italie, au jugement duquel les deux partis avaient été obligés de remettre leur cause !, ... quelle humiliation pour le Siège de Pierre !), le «premier acte [de Symmaque] fut de convoquer un concile de soixante-douze évêques dans la basilique de S. Pierre (499). “Je vous ai réunis, leur dit-il, pour rechercher les moyens de supprimer [dans les élections pontificales] les brigues des évêques, les scandales et les tumultes populaires, comme on en a excité lors de ma propre élection”. Le résultat des délibérations de ce synode fut la rédaction d'un décret qui a trouvé place, lui aussi, dans les collections du droit canonique (Décret de Gratien. Cap. Si quis, Papa superstite. Dist. 49). [il prescrivait] dans le cas où le pape mourrait subitement et sans avoir pu pourvoir à l'élection de son successeur (il y a là une allusion à l'usage, souvent observé dans les premiers temps ecclésiastiques, de demander à un pape mourant quel candidat il recommanderait pour sa succession), que «celui-là sera consacré [pape] qui aura recueilli les suffrages de tout le clergé ou, s'il y a partage, le plus grand nombre l'emportera»" (Lector, pp. 20-21).
"Et notre auteur de commenter : «C'était là un premier pas dans la voie qui devait assurer au clergé une influence prépondérante dans l'élection pontificale. Celle-ci devait être le fait de l'unanimité ou, du moins, de la majorité des votants ecclésiastiques. Il n'est plus question seulement, comme dans le rescrit d'Honorius, du consentement unanime. L'on prévoit le cas où il faudra s'en tenir à la majorité. La pensée du décret est que cette majorité devra être la plus grande possible : on y demeurera fidèle, plus tard, en sanctionnant la loi fondamentale d'une majorité des deux/tiers [cette loi fondamentale "est antérieure de près d'un siècle à l'institution même du Conclave. Portée en 1180 par Alexandre III, dans sa bulle Licet de vitanda discordia, elle est demeurée la clef de voûte de la législation des comices pontificaux, le point immuable au milieu des variations de ce code spécial. (…) Toute l'économie, toute «la mécanique du conclave» eût dit Saint-Simon, relève de cette loi et s'y rapporte" (Lector, p. 583). C'est tellement vrai que lorsque Pie VI, prévoyant la tourmente révolutionnaire, amendera certains articles de la réglementation des conclaves pour parvenir à une élection plus rapide et libérée au maximum de certaines entraves plus ou moins légalistes, il ne touchera en rien à cette loi fondamentale des deux/tiers pour la validité de l'élection pontificale : "Ces latitudes rendues nécessaires par la gravité des circonstances et que Pie VI n'hésitait pas à octroyer, vu l'urgence, rendent plus frappante l'insistance de ce pape à maintenir sur un point du moins, l'ancienne rigueur. En ce qui concerne l'acte électoral proprement dit, c'est en effet toujours la majorité organique des deux/tiers, telle que l'édictait Alexandre III au XIIe siècle, qui est exigée pour la validité de l'élection" (Lector, p. 714)]» (ibid.).
"Comme on peut le voir sans peine, les deux/tiers plus un de la constitution de Pie XII pour asseoir la légitimité CERTAINE du vrai pape sont déjà quasi la loi fondamentale dès… le sixième siècle ! Certes, nous sommes là sur le terrain de la désignation du nouveau pape actuel par son élection conclavique, et non à proprement parler sur celui de la reconnaissance ecclésiale universelle intervenant après ladite élection. Cependant, sur le plan théologique, l'acte de reconnaissance ecclésiale universelle n'est, comme je viens de le rappeler, qu'un confirmatur de l'acte d'élection du pape obtenue par l'unanimité morale des cardinaux : les deux actes, posés du reste ordinairement par les mêmes personnes cardinalices à très-peu d'intervalle de temps, forment en vérité un même et seul acte, tout-à-fait de la même manière qu'on ne saurait théologiquement dissocier le baptême de la confirmation. Et donc, de trouver dans la législation canonique antique qu'on considère comme loi fondamentale, donc dotée de l'infaillibilité divine, le consentement ecclésial unanime pour l'acte de désignation du nouveau pape actuel est par-là même asseoir le fondement théologique de même nature du consentement ecclésial unanime pour l'acte de reconnaissance du nouveau pape" (L'Impubliable, pp. 280-283, note de fin de texte "s").
Un dernier mot sur le sujet, mais il est fort important. Cette loi des deux/tiers des membres du Sacré-Collège à la fois nécessaire et suffisante pour assurer l'infaillibilité de l'acte de désignation-reconnaissance ecclésiale universelle du nouveau pape actuel, est en vérité vraiment inspirée par le Saint-Esprit, vraiment divine. Nos Pères dans la Foi ont très-vite compris qu'elle suffisait à manifester parfaitement l'unanimité absolue de la désignation ecclésiale universelle du nouvel élu au Siège de Pierre, absolument nécessaire à la validité de l'élection pontificale. Pourquoi en est-il ainsi ? La mystique et la théologie des Nombres dans la Très-Sainte Trinité divine va nous le faire comprendre. On ne saurait parler du Père et du Fils, ou pour mieux dire de l'Amour du Père pour et dans le Fils, et de l'Amour du Fils pour et dans le Père, par circumincession, sans que naisse immédiatement et éternellement le Saint-Esprit. Cela signifie que dans la Divinité, Deux n'existe pas ni jamais, sans engendrer ipso-facto Trois.
Il est bon de noter avec soin que cette grande vérité métaphysique est souvent évoquée implicitement dans la sainte-Écriture, autant dans l'Ancien que dans le Nouveau Testament. Mais commençons par citer l'Ancien-Testament : "Celui qui sera puni de mort sera condamné sur la déposition de deux ou trois témoins ; et nul ne mourra sur le témoignage d'un seul" (Dt XVII, 6) ― "Qu'on ne fasse pas marcher tout le peuple; mais qu'on envoie deux ou trois mille hommes pour détruire cette ville. Qu'est-il nécessaire de fatiguer inutilement tout le peuple contre un si petit nombre d'ennemis ? Trois mille hommes marchèrent donc en armes contre Haï" (Jos VII, 3-4 ― Ici, c'est très-impressionnant, il est carrément révélé que deux ou trois, c'est trois !) ― "Et si celui qui veut venger le mort vient le poursuivre, ils ne le livreront point entre ses mains, parce qu'il a tué son prochain sans y penser, et qu'on ne saurait prouver que deux ou trois jours auparavant il ait été son ennemi" (Jos XX, 5) ― "Jéhu, levant la tête vers la fenêtre, dit : Quelle est cette femme ? Et deux ou trois eunuques se penchèrent vers lui" (II R IX, 32) ― "Il [le riche] te séduira par ses festins, jusqu'à ce qu'il t'ait ruiné deux ou trois fois, et à la fin il se moquera de toi ; puis, te regardant, il t'abandonnera et branlera la tête sur toi" (Si XIII, 8) ― "Deux ou trois villes sont allées vers une autre ville pour boire de l'eau, et elles n'ont pu apaiser leur soif ; et vous n'êtes pas revenus à Moi, dit le Seigneur" (Am IV, 8).
Et, le contraire aurait été anormal, le Nouveau-Testament a exactement le même message que l'Ancien, quant à marquer une similitude mystique entre deux et trois : "Mais, s'il [ton frère qui a péché contre toi] ne t'écoute pas, prends encore avec toi une ou deux personnes, afin que toute l'affaire soit réglée par l'autorité de deux ou trois témoins" (Mt XVIII, 16). On ne pouvait donc que s'attendre à ce que Jésus Lui-même, Maître de vérité, confirme cette divine loi des Nombres, qui s'origine directement sur le Mystère de la Très-Sainte Trinité : "Car là où deux ou trois sont assemblés en Mon nom, Je suis au milieu d'eux" (Matth XVIII, 20) ― "Or [pour changer l'eau en vin dans le miracle des noces de Cana] il y avait là six urnes de pierre, pour servir aux purifications des Juifs, et contenant chacune deux ou trois mesures" (Jn II, 6). Saint Paul, il fallait s'y attendre de la part de celui qui avait eu des révélations mystiques ineffables, est tout-à-fait au parfum de cette grande loi des Nombres : "S'il y en a qui parlent des langues, que deux ou trois au plus parlent, et l'un après l'autre ; et que quelqu'un interprète. (...) Quant aux prophètes, que deux ou trois parlent, et que les autres jugent" (I Cor XIV, 27 & 29) ― "Voici la troisième fois que je viens à vous ; tout sera décidé sur la déclaration de deux ou trois témoins" (II Cor XIII, 1 ― Saint Paul fera également allusion à ces "deux ou trois témoins" dans I Tim V, 19 & dans Hebr X, 28).
... Et précisément, ce n'est pas un petit signe eschatologique, qu'en notre temps dégénéré moralement, loin de comprendre que deux révèle trois dans nos vies humaines, l'homme moderne s'obsède au contraire du chiffre deux jusqu'à l'effacement sacrilège dans son âme du chiffre trois : ne ressasse-t-on pas de nos jours, tous azimuts, l'obsession, de préférence sexuelle, du couple !, du chiffre deux qui exclut le chiffre trois qui est l'enfant, le Saint-Esprit, obsession qui efface Dieu dans l'âme, tant il est vrai que "Bienheureux les cœurs purs [qui n'ont pas effacé le chiffre trois dans leur âme], car ILS VERRONT DIEU [ils vivront du vrai Amour, qui est le Dieu Trinitaire !, ils ne se feront pas mourir l'âme par un faux amour généré par un quelconque algorithme binaire !]".
Mais j'en reviens à mon sujet. C'est bien pourquoi, pour conclure ce point, les deux/tiers des voix cardinalices se prononçant pour le choix d'un nouveau pape actuel, équivalent formellement à l'unanimité absolue des voix, comme s'il s'agissait des trois/tiers. Ce que nos Pères dans la Foi comprirent parfaitement bien, et ce, quasiment dès le sixième siècle chrétien, ainsi qu'on vient de le voir !
Ce n'est que lorsque le nombre des cardinaux est exactement divisible par trois et donc que les deux/tiers tombent sur un chiffre juste (par exemple, si le conclave réunit 27 cardinaux, les deux/tiers tombent exactement sur 18), que cette grande loi des deux/tiers subit une nécessaire petite addition. Car dans ce cas, il faut supposer la possibilité que l'élu ait voté pour... lui-même, et bien sûr, si c'était le cas, alors, le quota divin des deux/tiers de son élection pontificale n'aurait pas été atteint, par le défaut de sa propre voix élective il y aurait deux/tiers moins un ! Ce qui signifie que l'unanimité théologiquement nécessaire pour valider son élection ne serait pas actée. C'est pourquoi il faut alors rajouter une voix aux deux/tiers (2/3 + 1), pour éliminer cette possibilité et faire en sorte que les deux/tiers soient sûrement atteints, car, on vient de le voir, ces deux/tiers manifestent le quota divin de l'élection pontificale, deux signifiant trois, c'est-à-dire l'unanimité absolue. Ce petit problème ne se pose évidemment pas lorsque le nombre total des cardinaux votants est indivisible par trois, ce qui est le cas le plus courant bien sûr, parce que dans ce cas les deux/tiers de ce nombre sont calculés pour être toujours au-delà des deux/tiers exacts (exemple : si les votants sont 32, nombre indivisible par 3, les deux/tiers retenus, 21,33etc., seront automatiquement arrondis à 23 pour dépasser les deux/tiers exacts si l'élu avait voté pour lui, ce qui ferait retomber à 22 le nombre exact).
Mais jusque là... on ne voit pas beaucoup saint Bernard de Clairvaux dans ce que vous rapportez, pourra-t-on me dire ! ... Attendez ! Attendez !, gens pressés !, le "dernier Père de l'Église" ne va pas tarder à venir confirmer à grande voix haute et forte, magistralement, avec tout le poids de sa suréminente autorité doctrinale, la grande loi fondamentale de la Légitimité pontificale, cette règle prochaine de l'infaillibilité de la désignation ecclésiale universelle du Pontife romain actuel...
Auparavant, cependant, il me semble bon, encore, ... ne serait-ce que pour soumettre méritoirement à l'exercice surnaturel de la sainte-Patience les gens (trop) pressés !, de rentrer dans les travaux pratiques de cette grande loi fondamentale de la Légitimité pontificale, et je prendrais pour cela l'élection du pape Benoît XVI.
Voici ce que j'écrivais dans la dernière page 230, sq. du retirage de la 6ème édition de L'Impubliable (septembre 2005), fait quelques mois après l’élection du cardinal Ratzinger au Siège de Pierre en avril de la même année : "Voici ma position sur la récente élection au Siège de Pierre de Benoît XVI, et elle est conforme bien entendu à ce que j'écris sur la question de la Légitimité pontificale dans L'Impubliable, qui ne fait qu'exposer la Foi la plus pure sur cela, à savoir : Benoît XVI est certainement vrai pape, verus papa, sans nul doute possible. La raison en est simple, et le lecteur de L’Impubliable l’a bien sûr déjà devinée : le cardinal Ratzinger a dûment bénéficié de l’acte de reconnaissance ecclésiale universelle de la qualité de Vicaire du Christ actuel, sur sa personne.
"1/ Premier palier. Son élection conclavique s’est canoniquement parfaitement bien déroulée dans la liberté de l’Église (ce premier examen est positif : personne ne peut dire que le dernier conclave fut invalide).
"2/ Second palier. Plus encore, l’acte de reconnaissance ecclésiale universelle a dûment été posé sur sa personne de nouvel élu au Siège de Pierre, et, comme on l'a bien vu ensemble en étudiant la théologie et l'Histoire ecclésiastique dans le chapitre réfutant le sédévacantisme, c’est celui-là surtout qui fait la légitimité certaine du nouvel élu au Siège de Pierre.
"C'est pourquoi j’ai regardé avec le plus grand soin à la télé la cérémonie de son intronisation, car c’est là qu’intervient traditionnellement et rituellement cet acte, qu’on appelait très-significativement au Moyen-Âge : "adoration du pape". Lucius Lector, dans son Le Conclave écrit sous le pontificat de Léon XIII, nous décrit tout le faste de l’acte rituel qui avait lieu alors dans l’éclat des fanfares vaticanes, au sein de la magnifique messe de couronnement : les cardinaux, par deux fois, après l’Évangile et après le Credo, venaient baiser le pied du pape, lequel était majestueusement assis sur l’autel majeur pour l’occasion (... quel spectacle !, ... et combien il était rempli de sens et d'enseignement !), et par-là ils posaient l’acte de reconnaissance par l’Église universelle de sa nouvelle tête, acceptus et probatus, tout en faisant, tous et chacun des cardinaux, personnellement et publiquement obédience au nouveau pape. Une fois cet acte posé, PERSONNE ne peut plus dire que celui qui vient d’en bénéficier n’est pas le Vicaire du Christ actuel, sous peine d’anathème formel ipso-facto (... d'où, soit dit en passant, l'énorme hérésie et impiété du § 6 de la bulle de Paul IV, qui ose y soutenir le contraire, y contredire, et que j'ai trucidée dans mon précédent article).
"Or, pour le successeur de Jean-Paul II, cet acte, prodigieusement et lamentablement réduit à sa plus simple expression, la précision est d’ailleurs parfaitement inutile en ces temps de réduction modern(ist)e de toutes choses, fut cependant théologiquement bel et bien posé, j’en ai été assuré, rien qu'en regardant la retransmission télévisuelle de la cérémonie. Certes, tous les cardinaux n’ont pas fait obédience à Benoît XVI, mais l’essence de l’acte fut bel et bien respectée, à savoir que les trois cardinaux chefs d’ordre ont rituellement prêté obédience au nouveau pape, Benoît XVI, au nom, a bien précisé le chroniqueur à la télé qui retranscrivait la cérémonie, de tous les différents ordres cardinalices, autrement dit de TOUS les cardinaux. Bien sûr, en ces temps de démocratisme indû, de simples laïcs sont venus eux aussi, après lesdits cardinaux, «baiser la mule du pape», mais cela n’a pas d’importance et encore moins d'incidence sur le plan théologique : la seule chose que moi, catholique, j’avais à prendre acte et dont j’ai pris acte, c’est que les trois principaux cardinaux chefs d'ordre, en leur nom et en celui de tous leurs pairs composant le Sacré-Collège, ont posé l’acte de reconnaissance du nouveau pape, au nom de toute l’Église, et ce, à la face de toute l'Église. Ce qu'ils ont bel et bien fait, l’acte a bien et dûment été posé. DONC, Benoît XVI EST VRAI PAPE, verus papa. C’est une certitude de l’ordre du fait dogmatique. Car dès lors que cet acte est posé, il n’est en effet plus possible de douter de la légitimité de l’élu qui en a ainsi bénéficié. Et cette légitimité certaine est acquise formellement, encore une fois, nonobstant tout examen doctrinal de la foi de ce nouveau vicaire du Christ par les membres enseignés. Voilà la vraie doctrine en matière de Légitimité pontificale" (fin de citation).
Une dernière précision est nécessaire, avant d'entamer saint Bernard. Je viens d'écrire que l'acte de reconnaissance ecclésiale universelle de la qualité de pape actuel posé sur un tel, est de l'ordre du fait dogmatique, de soi toujours doté de l'infaillibilité ecclésiale. Il importe de bien expliquer ce qu'est un fait dogmatique, pour bien saisir la grande portée de cet argument. La plus courte et simple définition est celle-ci : un fait dogmatique est le dogme incarné dans le fait humano-ecclésial.
Or, la théologie du fait dogmatique s'applique singulièrement à notre affaire. Il ne suffit pas, en effet, pour faire son salut, de croire seulement théoriquement que le pape est nécessaire à l'Église et au salut de toute âme, et que donc la soumission au pape est une obligation de Foi, de fide, comme l'a explicité formellement le pape Boniface VIII dans sa célèbre bulle Unam Sanctam en ces termes : "Il est nécessaire au salut de tout être humain d'être soumis au Pontife romain", il faut encore croire que la personne particulière, vivante et concrète, désignée par l'Église Universelle pour remplir le Siège de Pierre AUJOURD'HUI, est le pape actuel qui doit recevoir cette obédience universelle de tout fidèle sur la terre. Autrement dit, sous peine d'anathème, le fait dogmatique oblige autant le fidèle à la croyance que le dogme lui-même.
Cette notion a été particulièrement développée lors de la crise janséniste, au XVIIIe siècle. Les hérétiques jansénistes, en effet, pour esquiver la condamnation de leurs doctrines perverses que le pape venait de faire dans une bulle, soutenaient fort malicieusement : "Nous souscrivons à la condamnation théorique qu'a faite le pape de la doctrine sur la prédestination dans sa bulle ; mais nous refusons de croire qu'elle se trouve dans le livre de Jansénius où le pape a cru la voir ; or, le pape n'est pas infaillible en disant que la doctrine réprouvée se trouve dans tel livre et dans tel auteur : cette dernière affirmation du pape est de l'ordre du fait humain qui n'entre pas dans le cadre de l'infaillibilité pontificale".
Malheureusement pour eux, c'était tout faux partout : le pape est infaillible non pas seulement dans l'ordre théorique des choses mais dans l'ordre pratique et purement humain de dire que dans tel livre et dans tel auteur se trouve l'hérésie identiquement telle qu'elle a été condamnée magistériellement, autrement dit dans le fait dogmatique. Parce que l'Église est infaillible jusque dans le fait dogmatique. Et, on l'a sûrement déjà compris, c'est le même cas de figure pour la Légitimité pontificale : le catholique a l'obligation, sous peine d'anathème formel, non seulement de professer théoriquement l'Institution divine de la papauté, mais encore de croire qu'un tel, personnellement désigné par l'Église Universelle pour remplir le Siège de Pierre à un moment donné de la vie de l'Église, est le pape actuel.
"Pour que cette question brille dans tout son jour, nous allons dire d'abord ce qu'on entend par fait dogmatique, puis exactement déterminer l'objet de l'infaillibilité que nous établissons. Donc, par le nom de fait dogmatique, on entend un fait uni au droit. Ce qui fait que pour résumer la question en quelques mots, on peut dire sans inconvénient : Le fait par lequel est déterminé le droit ; ou encore : Il [le droit] est fondé sur le fait" (Théologie dogmatique, RP Perrone, t. V, pp. 494-500). On pourrait peut-être définir le fait dogmatique d'une manière plus simple, moins intellectuellement scolastique que ne le fait ici le jésuite Perrone, comme : le dogme incarné dans la vie, la chair, d'une génération ecclésiale donnée. Et précisément, la question qui nous occupe quant à la Légitimité pontificale, est entièrement et radicalement résolue par la théologie du fait dogmatique… qui, soit dit en passant, réfute in radice les sédévacantistes, ici une fois de plus recalés, honteusement et damnablement, au rang des jansénistes, après l'avoir été à celui des luthériens en prétendant faire du "libre-examen" de la Légitimité pontificale.
Donc, pour notre affaire, le dogme infaillible, c'est que l'Église est dotée par le Christ de l'Institution de la papauté ; le fait dogmatique doté de l'infaillibilité, c'est que l'Église est infaillible dans la désignation personnelle qu'elle fait d'un tel pour être le pape actuel. Rien de plus logique du reste, il faut bien l'admettre, avec les exigences mêmes de la Foi. Sinon, à quoi servirait-il bien de reconnaître à l'Église l'Institution de la papauté dont elle est dotée, si par ailleurs, à la manière janséniste, l'on déniait à cette même Église l'infaillibilité dans le choix factuel, c'est-à-dire personnel, du pape actuel ? À rien, bien évidemment ! Si je puis dire que l'Église a un pape infaillible, mais que je n'ai pas la faculté de dire qu'un tel est le pape actuel (par le fait dogmatique), alors cela ne sert de rien. Les sédévacantistes professent exactement la même hérésie que les jansénistes en soutenant qu'ils reconnaissent théoriquement à l'Église la dotation par le Christ de l'Institution de la papauté, mais qu'ils ne reconnaissent pas à cette Église le droit et le pouvoir de désigner in concreto la personne du pape actuel… Cette proposition est hérétique, comme l'explique très-bien notre auteur jésuite, le RP Perrone, parce que "l'Église ne doit pas moins être infaillible sur le droit que sur le fait duquel il dépend" (ibid.). On ne saurait mieux dire.
Or, ... voilà, ça y est !, on arrive à saint Bernard !, ceux qui ont su patienter jusque là vont être beaucoup récompensés !, tout ce que j'expose et rappelle là, dans mon nouvel article (qui n'est qu'un complément du précédent), quant à la règle prochaine de la Légitimité pontificale, est... déjà compris et appliqué au Moyen-Âge par le grand saint Bernard de Clairvaux (1090-1153).
Personne, au reste, ne saurait s'en étonner. Car, qui mieux que saint Bernard, possédait au plus haut point le sensus Ecclesiæ ? Saint Bernard de Clairvaux, déclaré Docteur de l'Église par le pape Pie VIII en 1830, est ce doctor mellifluus (Pie XII) dont la suave doctrine de Foi déverse dans l'âme le miel de Dieu. Elle est considérée comme si forte, si catholique, si pure, que sa parole et ses écrits sont réputés donner aux âmes le miel divin de la Sagesse éternelle. Et il en est ainsi, parce qu'il va tout-de-suite à la Cause première des choses dans toutes les affaires qu'il traite, celle divine, et qu'il la magnifie merveilleusement bien devant les hommes, pour que, justement, l'homme ne prévale pas dans l'homme, non prævalebunt homo. Sa doctrine est une épiphanie à la fois glorieuse et humble de la Cause première qui est Dieu Lui-même. Saint Bernard sera comme l'Apôtre évangélique par excellence du XIIe siècle, lui, dont un fils spirituel deviendra plus tard le pape Eugène III et qu'il continuera à diriger spirituellement, lui, que les auteurs ont baptisé "dernier des Pères [de l'Église] mais non inférieur aux premiers" (Mabillon), quand d'autres vont jusqu'à le considérer carrément comme "l'homme du XIIe siècle", c'est-à-dire qui récapitule dans sa seule personne toute la virtus, la substance spirituelle des hommes de ce beau Moyen-Âge si virilement surnaturel... Saint Bernard, c'est le Droit de Dieu transcendant le droit de l'homme "dans l'Absolu" aurait dit Léon Bloy. Et s'il n'y a pas de Droit de Dieu, alors, il n'y a RIEN, et surtout PAS de droit de l'homme, il n'existe pas. Et combien le doctor mellifluus a raison sur cela !, combien il est admirable dans cette pensée première de son âme, qui est théocratique, par laquelle il va mener toute sa prodigieuse action dans toute l'Europe, et qui sera le fondement essentiel de tous ses écrits doctrinaux, mystiques et spirituels ! Tous les problèmes de l'ère moderne après la Renaissance, viennent en effet précisément de l'oubli, ou pour mieux dire de l'apostasie, de cette vérité fondamentale, à savoir que le Droit de Dieu transcende le droit de l'homme, sinon RIEN.
Or, ce héraut très-inspiré de Dieu voit tout-à-coup, en 1130, le juif Pierre de Léon se faire élire comme anti-pape dans un pseudo-conclave et prendre le nom d'Anaclet II, en face du pape légitime, Innocent II. Que va-t-il faire ? On va très-vite se rendre compte que saint Bernard, pour résoudre la griève affaire (car on le consultait de toute la Chrétienté pour savoir qui était le vrai pape), va n'employer, par exemple dans sa lettre au duc d'Aquitaine qui s'était laissé circonvenir par l'anti-pape, qu'un argument théologique, un seul, celui de... l'infaillibilité de l'acte de reconnaissance ecclésiale universelle de la qualité de Vicaire du Christ sur un tel, qui, en désignant CERTAINEMENT le vrai pape, verus papa, tranche théologiquement la question de manière décisoire.
Cependant, il n'aura pas la grâce d'y venir tout-de-suite. Dans l'abordage de l'affaire, lorsqu'on l'oblige à la prendre en mains, on voit saint Bernard tâtonner et ahaner dans la recherche laborieuse de l'argument théologique qui sera décisif pour faire triompher la cause du pape Innocent II. Pour contrer celle de l'anti-pape, il tâche, dans les débuts, d'invoquer deux arguments canoniques en faveur d'Innocent, à savoir : 1/ la sanior pars, c'est-à-dire qu'Innocent a été élu par la partie la plus saine du Sacré-Collège, et 2/ l'ætio ordinabilior, à savoir que la consécration d'Innocent par le traditionnel évêque d'Ostie était plus régulière que celle d'Anaclet faite par l'évêque de Porto. Mais saint Bernard se rend très-vite compte que ces deux arguments canoniques sont beaucoup trop faibles pour emporter pièce, que le parti d'Anaclet peut en présenter d'autres, pour le moins aussi valables, et qui peuvent les mettre en balance. Par exemple, le parti d'Anaclet invoque un argument de très-grand poids, à savoir qu'Innocent a été élu par les seuls sept cardinaux-évêques suburbicaires, sans participation des cardinaux-prêtres ni celle des cardinaux-diacres (lesquels, beaucoup plus nombreux, ont alors élu ensemble majoritairement Pierleoni-Anaclet).
Cet argument, en vérité, était très-fort, bien plus fort que ceux avancés de prime abord par saint Bernard ! Certes, l'élection d'Innocent par les seuls cardinaux-évêques suburbicaires était parfaitement valide, et d'ailleurs la seule à pouvoir l'être, car elle avait été faite selon la législation canonique en vigueur en matière d'élection pontificale au moment où Innocent est élevé sur le Siège de Pierre. Mais notons que cette législation, inspirée par le moine Hildebrand, était non seulement nouvelle dans l'Église puisqu'elle datait seulement du décret de Nicolas II en 1059, mais surtout, et c'était beaucoup plus grave, elle était, dans sa décision de réserver l'élection pontificale aux seuls sept cardinaux-évêques, si contraire à l'indispensable unité et bonne harmonie du haut-clergé romain, si imparfaite et moralement dangereuse ("en attribuant le privilège électoral aux seuls cardinaux-évêques, il semble que [cette législation] ait fourni à l'antagonisme latent qui existait entre ceux-ci et l'ordre presbytéral [les cardinaux-prêtres], un nouvel aliment. (…) Cet antagonisme force les évêques suburbicaires à consentir des compromis périodiques [à chaque nouvelle élection pontificale]" ― Lector, pp. 253 & 254), "qu'enfin Alexandre III, frappé des dangers d'un tel sécessionisme, y mett[ra] fin en donnant une part égale aux trois ordres [cardinalices] dans la constitution du corps électoral (1179)" (ibid.), ce qui sera l'acte de naissance du Sacré-Collège moderne proprement dit (précisons que de 1059 à 1179, neuf papes seulement furent élus par les seuls cardinaux-évêques, difficilement et très-dangereusement, "on le vit lors de l'élection de Grégoire VII lui-même [le moine Hildebrand, inspirateur de cette législation]" ― ibid.)… Or, justement, la faction cardinalice qui avait poussé le trouble Anaclet en face d'Innocent était fondée sur cette légitime revendication des cardinaux-prêtres et cardinaux-diacres, la preuve en est qu'elle fut très-rapidement satisfaite par les papes dans la suite des temps ecclésiaux…
Tout ceci considéré, saint Bernard donc, se rend bien compte de l'insuffisance complète de s'appuyer sur le droit canonique pour soutenir la cause d'Innocent, et il se rabat alors sans tarder sur la loi fondamentale de droit divin qui sera absolument décisive sur toute argumentation d'ordre seulement canonique (car le droit divin fonde le droit canon, le répare même sanatio in radice, lorsqu'il s'avère d'usage imparfait, et non l'inverse), celle de la désignation-reconnaissance par l'Église Universelle du nouvel élu au Siège de Pierre, qui désigne infailliblement CERTAINEMENT le vrai pape, verus papa. Il y travaille d'arrache-pied d'ailleurs, en amenant les roys de France et d'Angleterre à l'obédience d'Innocent, pendant que saint Norbert, son ami, travaillait à obtenir celle de Lothaire III, l'empereur d'Allemagne. Et une fois ces trois obédiences majeures du monde catholique d’alors obtenues, saint Bernard se montre alors, avec un rare sens théologique de la situation, divinement assuré de la cause d'Innocent, qu'il fera triompher formidablement en héraut de Dieu (les cardinaux en effet, étaient hors-course, puisqu'ils étaient divisés, les uns pour Innocent, les autres pour Anaclet ; puisque donc l'organe ordinaire pour poser l'acte de reconnaissance ecclésiale universelle faisait défaut, il fallait recourir à celui extraordinaire, à savoir : l'Église Universelle, c'est-à-dire absolument toute la Chrétienté dans son ensemble, l'universitas fidelium, tout simplement, règle que rappellera très-bien le cardinal Journet dans L'Église du Verbe incarné, p. 623, et que je résume en ces termes : "L'élection pontificale appartient au haut-clergé de Rome ou cardinaux ; à son défaut, au bas-clergé de Rome ; à son défaut encore, à l'Église Universelle" ; ce sera elle également, l'universitas fidelium, qui, quelques siècles plus tard, résoudra le problème théologique posé par le grand-schisme d'Occident)...
On remarquera que dans sa lettre au duc d'Aquitaine que je vais citer maintenant, pourtant écrite au début de l'affaire, saint Bernard ne s'appuie déjà plus que sur l'argument de droit divin qui nous occupe, n'évoquant pas même les deux arguments d'ordre canonique précités, sur lesquels au tout début de l’affaire il avait cru pouvoir s’appuyer, la sanior pars et l'ætio ordinabilior, mais qu'il a déjà complètement abandonnés.
Mais lisons les passages de sa lettre au duc d'Aquitaine qui nous intéressent : "... La parenté et l'amitié qui nous unissent ne permettent pas de garder plus longtemps le silence sur votre égarement. (...) Comment avez-vous pu vous oublier jusqu'à abandonner votre mère et votre souveraine [l'Église] dans son affliction ? À moins que votre conseil ne vous persuade que toute l'Église se réduit à la famille de Pierre de Léon. Mais la vérité même confond ces imposteurs et l'antéchrist, leur chef, puisqu'elle assure, par la bouche de David, que l'Église s'étend à tous les confins de la terre et à toutes les familles des nations. Il est vrai que le duc de la Pouille est dans son parti, mais c'est le seul prince ; encore l'a-t-il gagné par le ridicule appât d'une couronne usurpée. Au reste, quelles sont les belles qualités de leur prétendu pape, pour nous faire pencher de son côté ? Si je m'en rapporte au bruit commun, il n'est pas même digne de gouverner une bicoque [sic ! ah !, comme on s'empresserait, en nos jours débiles et vomitifs, d'accuser saint Bernard de Clairvaux de "manque à la charité envers son prochain" !]. (...) Ainsi, mon très-cher cousin, le parti le plus sûr est de RECONNAÎTRE POUR PAPE UNIVERSEL CELUI QUE L'UNIVERSALITÉ S'ACCORDE À RECONNAÎTRE POUR TEL, celui que reconnaissent tous les ordres religieux et l'universalité des rois. Il y va de votre honneur et de votre salut" (Histoire universelle de l'Église catholique, Rohrbacher, t. XV, p. 269).
... Pas même digne de gouverner une bicoque ! Anaclet en effet, de la famille juive des Pierleoni, n'était pas du tout digne de la fonction pontificale, saint Bernard allait même jusqu'à le considérer, avec du reste beaucoup de perspicacité et d'esprit prophétique, comme une sorte de "précurseur de l'Antéchrist" (... il était là, en vérité, effectivement très-inspiré, puisque le dernier pape légitime de l'Église dans son économie du temps des nations et de Rome son centre, sera bel et bien l'Antéchrist-personne lui-même soi-même, selon l'oracle salettin bien entendu : "Rome perdra la Foi et deviendra le siège de l'Antéchrist", et ainsi que je l'ai établi moi-même dans mon grand article sur cette très-redoutable question, cf. http://www.eglise-la-crise.fr/images/pdf.L/AntechristDernierPapeLEGITIMEMisEnForme.pdf). Anaclet était certes très-habile dans les affaires ecclésiastiques mais il n'agissait aucunement selon l'esprit véritable de la Religion, seulement pour des vues tout humaines : "Un homme aussi pondéré et pénétrant que Pierre-le-Vénérable, dans une de ses lettres, avait dénoncé sa cupidité, son ambition, son penchant à la simonie. Un autre bon juge, l'évêque Hubert de Lucques, écrivant à saint Norbert, alors archevêque de Magdebourg, le décrira en deux mots sévères : avarus et ambitiosus, avare et ambitieux" (Saint Bernard de Clairvaux, Mgr Cristiani, p. 84).
Dans le même temps qu'il écrit ces lignes fortes et toutes pleines de l'Esprit de Dieu au rétif duc Guillaume d'Aquitaine, saint Bernard écrit aux évêques qui siègent sur ses terres : "... Voici le temps, mes très-révérends Pères, de signaler votre vertu. (...) Vous êtes dans la nécessité, ou de céder avec infamie, ou de résister avec une vigueur infatigable. Le nouveau Diotrèphes [= le duc d'Aquitaine], que son ambition fait aspirer à la primauté, refusant de reconnaître avec vous celui qui vient au nom du Seigneur, et qui est reconnu de toute l'Église, reçoit celui qui vient en son propre nom. (...) Dieu a déjà décidé, l'arrêt qu'Il a prononcé, C'EST L'ÉVIDENCE DU FAIT MÊME [que saint Bernard fait consister en la reconnaissance ecclésiale universelle de la qualité de vrai pape sur Innocent II, comme il suit :]. Qui sera assez hardi pour s'y opposer ? qui oserait appeler de son jugement ? Il [Innocent] a été reconnu et approuvé par les archevêques (suit toute une liste de noms). Il a été accepté par les évêques (également toute une liste). (...) Je ne parle point d'une infinité d'archevêques et d'évêques (idem, toute une liste) leurs noms (idem) ne peuvent être contenus dans la brièveté d'une lettre. TOUS, DE CONCERT, ONT REJETÉ PIERRE DE LÉON, SE SONT DÉCLARÉS POUR GRÉGOIRE, SOUS LE NOM DU PAPE INNOCENT. (...) Je ne dois pas passer sous silence tant de saints religieux (encore une liste), en un mot tout le clergé et tous les ordres religieux suivent leurs évêques [dans la reconnaissance ecclésiale universelle d'Innocent comme pape]. (...) Que dirai-je des rois et des princes de la terre ? Ne s'accordent-ils pas avec leurs peuples à révérer Innocent comme l'évêque de leurs âmes ? Enfin, quelqu'un, remarquable par sa dignité ou par sa vertu, qui ne fasse pas la même chose ? APRÈS CELA, IL Y A ENCORE DES CHICANEURS OPINIÂTRES QUI RÉCLAMENT CONTRE CETTE UNANIMITÉ ! ILS FONT LE PROCÈS À TOUT L'UNIVERS [CATHOLIQUE] !" (Rohrbacher, t. XV, pp. 270-272).
C'est clair comme de l’eau de roche, bien vertement dit et fort comme la Vertu de Dieu, n'est-il pas ? Or donc, cet argument de droit divin de l'infaillibilité de la reconnaissance ecclésiale universelle du vrai pape est le principal et finalement le seul employé par saint Bernard de Clairvaux pour débouter dans les esprits le parti d'Anaclet. Et... il y arrive, du moins auprès des âmes de bonne volonté. La lettre auprès des évêques d'Aquitaine, dont nous venons de lire de larges extraits, eut son effet : ils résistèrent courageusement à l'anti-pape et d'ailleurs en "eurent beaucoup à souffrir" (Rohrbacher, ibid.).
Quant au duc d'Aquitaine et comte de Poitiers qui, un moment, va persécuter ceux qui tiennent pour le vrai pape, saint Bernard, en vrai prophète, ne va pas tarder à le ramener dans le droit chemin, et… par quel formidable coup de trique à bourrique, ô doux Jésus !!! Le duc se révélant décidément plus rétif que baudet, saint Bernard, avec lui, va employer les grands moyens : au moment de la communion d'une messe à laquelle le duc assistait à la porte de l'église (car il était excommunié), saint Bernard, soudain, descend la nef, muni de la grande hostie sur la patène, et, avec un éclat de prophète de Yahweh-Sabaoth, lui fit sommation pleine d'autorité, dans le tonnerre et les éclairs Boanergès, de quitter le parti d'Anaclet (le duc en fut si saisi qu'il s'écroula sur le sol aux pieds de saint Bernard, hébété, pantelant, écumant, poussant des cris inarticulés, puis, abjura enfin le schisme lorsque saint Bernard daigna le relever en le touchant du pied...). Dans cet ultime et victorieux siège de l'âme du duc rebelle, ne manquons surtout pas de remarquer comme saint Bernard emploie toujours et encore le même argument de l'infaillibilité de la désignation-reconnaissance ecclésiale universelle du pape, qui ne peut porter que sur le vrai pape, verus papa : "Éh bien !, lui dit-il, nous vous avons prié et vous nous avez méprisé ! Dans notre précédent entretien, la multitude des serviteurs de Dieu, rassemblés autour de vous, vous a supplié également et vous n'avez pas écouté. Voici maintenant le Fils de la Vierge qui vient à vous ! Allez-vous le repousser lui aussi ? (...) Pour obéir à Dieu, rétablissez l'union et la paix dans votre État, et faites soumission au pape Innocent, comme toute la chrétienté !...»" (Cristiani, pp. 108‑109).
Un peu plus tard, le schisme réussissant à s'installer quand même (... ce méchant bougre d'Anaclet possédait l'art de séduire les intelligences utiles à sa cause...!), saint Bernard fut l'âme du concile qui eut lieu en 1132 à Pise sous la présidence d'Innocent II, car l'anti-pape, excusez du peu, occupait Saint-Pierre de Rome. C'est lui qui fut l'inspirateur de la lettre que l'empereur Lothaire écrivit alors, aux termes du concile, à toute la Chrétienté : "Dieu nous ayant établi défenseur de la sainte Église romaine, nous sommes allé pour la délivrer, accompagné d'évêques, d'abbés, de princes et de seigneurs [... il n'y alla qu'avec 2 000 chevaliers, et fut la risée des pays où il passait : ce qui fit que l'anti-pape se maintint encore longtemps à Rome...]. Et, allant à Rome, nous avons souvent reçu des députés du schismatique Pierre de Léon, qui prétendaient qu'on ne devait pas l'attaquer à main armée, puisqu'il était prêt à comparaître en jugement [le rusé anti-pape cherchait alors à gagner du temps, en demandant pour une affaire ecclésiastique un jugement laïc à l'empereur germanique, qu'ainsi il flattait dans ses plus mauvais et dangereux penchants : ce seul procédé suffit à le juger, lui et sa cause...]. Nous l'avons fait savoir aux évêques et aux cardinaux qui étaient avec le seigneur pape Innocent ; et ils nous ont répondu, comme étant bien instruits des canons [!], QUE L'ÉGLISE UNIVERSELLE AYANT DÉJÀ PRONONCÉ SUR CE SUJET ET CONDAMNÉ PIERRE DE LÉON [ET DONC : RECONNU INNOCENT VRAI PAPE], aucun particulier ne pouvait s'en attribuer le jugement" (Rohrbacher, t. XV, p. 275).
C'est sûr, il n'y a que les sédévacantistes à n'être pas... "bien instruits des canons"…!!
En 1137, par le laxisme des hommes, le schisme durait toujours, quoique amoindri. Alors, afin de régler définitivement la question, il y eut une conférence mémorable, pour le bon succès de laquelle l'anti-pape, aidé de Roger, roi de Sicile, envoya un cardinal acquis à sa cause, Pierre de Pise, "qui passait pour très-éloquent et très-savant dans les lois civiles et ecclésiastiques. Aussi le roi l'avait-il demandé nommément, dans l'espoir d'embarrasser la simplicité de l'abbé de Clairvaux [choisi pour être le champion de la cause d'Innocent II]. Après que Pierre eut parlé en faveur d'Anaclet, et cité à l'appui des faits de l'histoire et des lois canoniques, Bernard répondit :
"«Je sais quelles sont votre capacité et votre érudition, et plût à Dieu que vous eussiez à défendre une cause meilleure ! Il n'y aurait point d'éloquence qui pût vous résister. Quant à nous autres, gens rustiques, plus accoutumés à manier la bêche qu'à plaider des causes et à faire des harangues, nous garderions le silence si l'intérêt de la Foi ne nous pressait. (...) Il n'y a qu'une Église et non deux, comme il n'y eut qu'une arche au temps du déluge. Huit personnes s'y sauvèrent, tous ceux qui étaient dehors périrent. Que cette arche soit la figure de l'Église, personne n'en doute. Or, tout récemment, on a fabriqué une arche nouvelle ; puisque maintenant, il y en a deux, nécessairement l'une d'elles est fausse et destinée à être engloutie. Si donc l'arche que gouverne Pierre de Léon est de Dieu, celle que gouverne Innocent doit nécessairement périr. Ainsi donc périra l'Église orientale, périra tout l'Occident, périra la France, périra l'Allemagne ; les Espagnols, les Anglais, les royaumes les plus reculés seront engloutis dans le fond de la mer. Les ordres religieux et une infinité d'autres compagnies de serviteurs et de servantes de Dieu, seront nécessairement, par le même naufrage, précipités dans l'abîme. Les évêques, les abbés et les autres princes de l'Église, le gouffre béant les engloutira. Seul de tous les princes de la terre, Roger est entré dans l'arche de Pierre de Léon ; ainsi tous périront, tous, excepté Roger ! Roger seul sera sauvé ! À Dieu ne plaise que la religion de l'univers entier périsse, et que l'ambition d'un Pierre de Léon, dont tout le monde sait quelle fut la vie, obtienne le royaume des cieux !» À ces paroles, les assistants ne purent se contenir davantage, mais ils détestèrent et la vie et la cause de l'anti-pape. Quant au saint abbé, il prit par la main Pierre de Pise, il le fit lever, et, se levant avec lui, il lui dit : «Si vous m'en croyez, nous entrerons tous deux dans l'arche la plus sûre». En même temps, comme il y avait pensé d'avance, il l'entreprit par des avis salutaires, et, la grâce de Dieu y aidant, lui persuada aussitôt de s'en retourner à Rome et de se réconcilier au pape Innocent" (Rohrbacher, t. XV, pp. 312-313) !
Ainsi donc, c'est par trop clair, c'en est même rayonnant, éclatant comme le soleil de midi en plein mois d'août, le seul argument théologique qui permit à saint Bernard d'emporter l'affaire, fut celui de droit divin de l'infaillibilité de la reconnaissance ecclésiale universelle de la qualité de vrai pape sur la personne d'Innocent II. Après quelques hésitations au départ, ce fut le seul argument, ancré sur le droit divin, dont cet athlète de Dieu et de son Église se servit…
PUISSENT LES SÉDÉVACANTISTES ÉCOUTER LE GRAND SAINT BERNARD DE CLAIRVAUX AVEC AUTANT DE DOCILITÉ QUE LE CARDINAL PIERRE DE PISE !
... Mais je ne saurais quitter l'épisode sans faire remarquer, au passage, que l'argumentation théologique de saint Bernard est entièrement basée sur le très-grand nombre des élus, puisqu’il argue comme impossible que Dieu et son Église résidassent dans le très-petit nombre, c’est-à-dire en l’occurrence dans la seule maison de Pierleoni et de Roger de Sicile… Et ne notons pas moins que tout le monde se range à cet argument, trouvant donc absolument impossible que le salut serait réduit au très-petit nombre des élus... Ceci dit en direction de certains clercs sédévacantistes qui manient et marient fort malsainement le rigorisme janséniste avec le sectarisme sédévacantiste, les deux doctrines, en effet, s’accouplant très-bien, comme les monstres savent le faire entre eux...
Voilà, j'en ai fini (non sans préciser encore une fois, comme je l'ai fait dans mon précédent article, que j'ai tiré les principales parties de ce présent article, toujours de mon grand ouvrage de fond, L'Impubliable... écrit il y a plus de vingt-cinq ans et qui, loin d'avoir pris une quelconque ride, s'avére toujours aussi costaud pour solutionner théologiquement "la crise de l'Église").
Je laisserai le mot de la fin à… la marquise de Sévigné, la célèbre épistolière qui n'habitait qu'à quelques kms de chez moi, dans son château "Le Rocher-Sévigné". Sa Foi va nous synthétiser dans un mot lumineux, vert, bien franc très-chrétien, à l'emporte-pièce, irrésistible, sublime dans sa simplicité, la pensée commune des chrétiens de tous les temps à l'égard de l'infaillibilité de toutes et chacune des élections pontificales, et tant pis pour les sédévacantistes : "Au conclave de 1691, elle tiendra des propos inspirés par le martyre des premiers Papes de Rome. Elle écrit à son cousin, M. de Coulanges : «Vous n'avez qu'à lire cette histoire pour vous persuader qu'une religion subsistant par un miracle continuel, et dans son établissement et dans sa durée, ne peut être une imagination des hommes... Quelque manège qu'il y ait dans le conclave, c'est toujours le Saint-Esprit qui fait le pape ; [dans les conclaves] DIEU FAIT TOUT, IL EST LE MAÎTRE DE TOUT»" (Bulletin Opus Dei, abbé Ferdinand Portier, année 1999, n° 7, p. 147, article La Foi robuste et sainte de Madame de Sévigné signé Yves Le Ber ― ... Foi robuste ? ... et sainte ? Hum !, très-certainement pour ce magnifique passage, mais sauf à considérer ses sympathies pour les jansénistes…!).
Résumé de la question, questio magna, en vérité aussi simple qu'il est admirable. Mais oui bien sûr, c'est tout-à-fait cela : "C'est TOUJOURS le Saint-Esprit qui fait le Pape, [dans les conclaves] Dieu fait TOUT, Il est le maître de TOUT". Dans tous les âges de l'Église, les vrais chrétiens, pusillis cum majoribus, l'ont toujours, et tous, bien su (le principe lérinien vérifie donc absolument cette vérité implicite). D'instinct de la Foi. D'une Foi sûre. D'une Foi pure. D'une Foi salutaire. D'une Foi victorieuse.
Causa finita est.
Il ne reste plus aux sédévacantistes qu'à l'admettre pour redevenir de bons catholiques, ce que je leur souhaite bien sincèrement. Le devoir formel de Foi que leur intime la règle prochaine de la Légitimité pontificale, que j'ai rappelée en profondeur dans mon article précédent et dans celui-ci qui le complète, leur est donc tout tracé : puisque la désignation-reconnaissance ecclésiale universelle du pape fait infailliblement le vrai pape, verus papa, majeure, puisque François est le pape actuel qui en bénéficie formellement, mineure, les sédévacantistes ont donc, conclusion, sous peine d'anathème formel, à professer que François est le vrai pape actuel. C'est le devoir de tout catholique digne de ce nom, qui ne se fabrique pas orgueilleusement ex nihilo son église voire même son pape (comme le font les survivantistes), mais qui prend l'une et l'autre des Mains du Saint-Esprit et du Christ, dans l'état de crucifixion et de Passion où l'Église se trouve avec le pape François. Parce que c'est là que Dieu la veut.
Reconnaître François comme verus papa, ainsi que l'église romaine actuelle comme toujours vraie Épouse du Christ, est certes un vrai martyre pour le catholique actuel, mais justement, c'est cela le chemin de l'Église aujourd'hui : vivre "LA PASSION DE L'ÉGLISE" précisément parce que François est vrai pape, précisément parce que l'église romaine est vraie Église. Si l'on ne reconnaît pas François comme vrai pape, l'église romaine comme vraie Église, alors, on ne vit pas "LA PASSION DE L' ÉGLISE" que le Saint-Esprit et le Père font vivre à l'Épouse du Christ aujourd'hui, dans notre contemporanéité ecclésiale depuis Vatican II. On s'invente alors damnablement une vie ecclésiale qui surnaturellement n'existe pas, qui vit dans les ténèbres extérieures inexistentielles puisqu'elle n'est plus dans l'Église Universelle.
Mais rejeter avec orgueil et rébellion ce formel devoir de Foi, c'est vivre hérétiquement sa Foi dans une bulle de savon surréaliste qui n'existe pas, c'est se créer contre la Volonté divine un petit nid douillet de pseudo-église, de petite-église schismatique, et mettre son âme, par un chemin insoupçonné du sédévacantiste, sur la voie de la damnation.
Que les sédévacantistes prennent à cœur de ne pas mériter qu'on entende dire d'eux ce que saint Bernard disait des hérétiques cathares : "On ne les convainc ni par le raisonnement (ils ne comprennent pas), ni par les autorités (ils ne les reçoivent pas), ni par la persuasion (car ils sont de mauvaise foi)" !
Que Dieu et sa très-sainte Mère, et saint Joseph Patron de l'Église Universelle, soient en bonne et victorieuse aide aux sédévacantistes pour les aider à vaincre leur démon, qui ne leur est si terrible, qui aveugle si formidablement leurs yeux au point qu'ils ne peuvent plus du tout les ouvrir, que parce qu'ils l'ont trop couvé et caressé dans leur sein, en se mettant avec orgueil au-dessus de tout le monde !
En la fête de l'Expectation
de l'Enfantement de Notre-Dame,
Encore dite Notre-Dame de l'Ô,
ce 18 décembre 2022.
Vincent Morlier,
Écrivain catholique.
Les antiennes "Ô", qui magnifient très-profondément dans ses attributs et charismes divins le Verbe incarné, Jésus-Christ Notre-Seigneur et grand-frère, récitées liturgiquement après Vêpres, sont à méditer religieusement par le fidèle chaque jour du 17 au 23 décembre. Elles permettent de bien fixer le regard de nos âmes sur le Sauveur, qui est notre Dieu avec nous, Emmanuel, et vivre avec Lui dans l'attente de la Noël de Délivrance. Je les recopie ci-dessous :
17 déc | O Sapientia, quæ ex ore Altissimi prodisti, attingens a fine usque ad finem, fortiter suaviter disponensque omnia: veni ad docendum nos viam prudentiæ. | Ô Sagesse, sortie de la bouche du Très-Haut, qui enveloppez toutes choses d'un pôle à l'autre et les disposez avec force et douceur, venez nous enseignez le chemin de la prudence. |
18 déc | O Adonai, et Dux domus Israel, qui Moysi in igne flammæ rubi apparuisti, et ei in Sina legem dedisti : veni ad redimendum nos in bracchio extento. | Ô Adonaï, guide du peuple d'Israël, qui êtes apparu à Moïse dans le feu du buisson ardent, et lui avez donné vos commandements sur le mont Sinaï, armez votre bras, et venez nous sauver. |
19 déc | O Radix Iesse, qui stas in signum populorum, super quem continebunt reges os suum, quem gentes deprecabuntur : veni ad liberandum nos, iam noli tardare. | Ô Fils de la race de Jessé, signe dresse devant les peuples, vous devant qui les souverains resteront silencieux, vous que les peuples appelleront au secours, délivrez-nous, venez, ne tardez plus ! |
20 déc | O Clavis David, et sceptrum domus Israel ; qui aperis, et nemo claudit ; claudis, et nemo aperit : veni, et educ vinctum de domo carceris, sedentem in tenebris et umbra mortis. | Ô Clef de la cité de David, sceptre du royaume d'Israël, vous ouvrez, et personne alors ne peut fermer ; vous fermez, et personne ne peut ouvrir ; venez, faites sortir du cachot le prisonnier établi dans les ténèbres et la nuit de la mort. |
21 déc | O Oriens, splendor lucis æternæ, et sol iustitiæ : veni, et illumina sedentes in tenebris et umbra mortis. | Ô Orient, splendeur de la Lumière éternelle, Soleil de justice, venez, illuminez ceux qui sont assis dans les ténèbres et la nuit de la mort. |
22 déc | O Rex gentium, et desideratus earum, lapisque angularis, qui facis utraque unum : veni, et salva hominem, quem de limo formasti. | Ô Roi des nations, objet de leur désir, clef de voûte qui unissez les peuples opposés, venez sauver l'homme que vous avez façonné d'argile. |
23 déc | O Emmanuel, Rex et legifer noster, exspectatio gentium, et Salvator earum : veni ad salvandum nos, Domine, Deus noster. | Ô Emmanuel, notre roi et législateur, que tous les peuples attendent comme leur Sauveur, venez nous sauver, Seigneur notre Dieu ! |