Les papes modernes ont-ils des excuses
d'avoir cédé au républicanisme post-révolutionnaire
constitutionnellement athée...?
(I)
 
 
 
À la Papauté,
À tous les papes
qui se sont succédés
sur le Siège de Pierre.
           
        L'Histoire authentique est maîtresse de Vérité.
           
        Une des lumières du concile de Trente, le célèbre dominicain Melchior Canus, que d'aucuns, quant à la valeur, placent juste derrière saint Thomas d'Aquin dans l'Ordre des Frères prêcheurs, avait fait de l'autorité de l'Histoire le dixième et dernier de ses Lieux théologiques pour accéder certainement à la Vérité, à bonne et fort honorable place derrière des critères de première grandeur, comme l'autorité de l'Église, l'autorité des Conciles généraux, etc. L'Histoire a un lien viscéral très-fort avec Dieu le Père Créateur. Le fait historique véritable est en effet, on pourrait dire, une sorte de petite création parabolique, qui, mis en compagnonnage avec d'autres de son espèce, donne à l'âme une vision du Plan divin quant à la terre, qui est manifestation du Royaume de Dieu par son Christ. Et plus on réunit ensemble de ces bons compagnons qui sentent la bonne odeur de Jésus-Christ, plus cette vision devient claire, c'est-à-dire plus l'âme humaine vit de la Personne vivante du Verbe incarné et de son Règne, perçue dans la joie et la gloire salvifiques que donnent la Voie, la Vérité et la Vie.
           
        Tout ceci pour dire à mon lecteur que de scruter attentivement l'Histoire permet de mieux saisir pourquoi les papes et la cour romaine ont cédé si facilement au républicanisme voire au démocratisme constitutionnellement athée issu de la Révolution française (ce qui en soi est pourtant si contre-nature et tellement renversant), aux lendemains même, très-immédiats, de la tourmente révolutionnaire. Ce qui aide l'âme à comprendre comment la Providence divine a ordonné les choses pour faire rentrer l'Épouse du Christ dans sa Passion propre et personnelle, et donc à mieux vivre soi-même la vie de l'Église aujourd'hui, vivre "LA PASSION DE L'ÉGLISE", loin de tout illusionnisme spirituellement malsain genre "Demain, la Chrétienté" (... d'hier).
           
        C'est en effet dès 1801 que l'Église passe contractuellement, à la face du monde entier, un Concordat avec un État constitutionnellement athée, telle l'était la République française représentée par Napoléon. C'est, au regard de la vertu suréminente de Foi donnée par le Christ-Dieu à la papauté et au Siège de Pierre, si incroyable, si attentatoire à la constitution divine de l'Église et aux fondements de la civilisation chrétienne, qu'on ne peut s'empêcher d'y réfléchir très-profondément.
           
        Sur le plan des mœurs (les choses de la Politique constitutionnelle appartiennent au domaine des mœurs, dont l'Église est autant garante, et infailliblement garante, que pour les choses de la Foi), nous sommes là carrément en présence d'une apostasie. Signer un concordat avec la République française constitutionnellement athée était en effet ipso-facto lui réputer validité et légitimité (car tout concordat est un acte diplomatique solennel qui présuppose formellement la validité de tous et chacun des co-contractants intervenant audit acte concordataire, de par sa structure juridique synallagmatique). Or, depuis la Révélation, les seuls pouvoirs politiques valides sont ceux qui appuient explicitement leur fondement sur le Christ (ce qu'auraient dû savoir, plus et mieux que personne, faut-il hélas avoir à le dire, les Vicaires... du Christ). En effet, saint Paul, l'Apôtre des nations, nous enseigne formellement dans son célèbre chapitre XIII de l'épître aux Romains, que seuls les pouvoirs politiques ordonnés constitutionnellement au Bien commun sont valides, ladite ordonnance étant règle prochaine sine qua non de la validité de tout pouvoir politique ; ceux qui n'ont pas inscrite dans leur constitution cette ordonnance à la mise en oeuvre du Bien commun, non seulement ne sont pas valides mais n'existent même pas pour saint Paul. Or encore, depuis l'Incarnation, le Bien commun a un nom, il s'appelle Jésus-Christ, fondement et géniteur de tout Bien commun véritable dans l'ordre politique. Or enfin, tous les pouvoirs républicains-démocrates issus de la Révolution française, non seulement ne sont pas ordonnés constitutionnellement à Jésus-Christ, qui donc est le nom du Bien commun depuis l'Incarnation, mais, pire encore, sont ordonnés très-explicitement contre ce Bien commun véritable ordonné à Jésus-Christ, puisqu'ils sont tous constitutionnellement fondés sur les "droits de l'homme" révolutionnaires, lesquels, derrière une façade transparente, sont ni plus ni moins une radicale déclaration de guerre au Géniteur du Bien commun, Jésus-Christ. Il est en effet trop vrai de dire que les sociétés politiques issus de la Révolution non seulement ne sont pas constitutionnellement ordonnées au Bien commun, négativement, mais sont très-positivement constitutionnellement ordonnés au "mal commun" comme n'étant en vérité qu'une entreprise sociopolitique de démolition du Bien commun, c'est-à-dire de Jésus-Christ, dans les âmes des hommes.
           
        Ces "puissances", comme dit saint Paul en parlant des pouvoirs politiques, issues de la Révolution, sont donc formellement invalides, inexistantes, et c'est rien moins qu'une apostasie véritable, sur le plan des mœurs dont l'Église est gardienne et gardienne infaillible, que de les déclarer valides à la face du monde entier (ou du moins, mais cela revient au même, de leur réputer formellement validité et existence, par le simple et seul fait de les accepter comme partenaires concordataires). Les mœurs en effet couvrent les questions de Politique constitutionnelle : or, changer le critérium de validité des sociétés politiques dans un virage à 180°, en réputant désormais la validité à des gouvernements constitutionnellement athées, et donc non-constitutionnellement ordonnées à la poursuite du Bien commun, alors que, catholiquement, en suivant saint Paul, la Foi enseigne que les "puissances" qui sont valides sont seulement et exclusivement celles qui sont constitutionnellement ordonnées audit Bien commun, c'était en effet toucher là formidablement aux mœurs.
           
        À l'opposé de cette attitude rien moins qu'apostate, les Vicaires du Christ auraient dû faire immédiatement haro sur ces "puissances" du diable sorties du ventre de la Révolution, les dénoncer à la face du monde entier en criant le plus fort possible, avec la dernière énergie, dès qu'elles ont, dans leur arrogance, levé leur tête d'iniquité, de rébellion et d'orgueil lucifériens à la Face de Dieu et des hommes, qu'elles étaient des filles du diable suscitées par l'enfer pour la perte des âmes par le Politique (Louis Veuillot, dans une langue apocalyptique fort inspirée, les appellera "les filles de Babylone"), fulminant sur elles, dans le plus grand tremblement de leur fonction de Vicaire du Christ, les plus anathématisantes excommunications. Las ! Aux antipodes absolus, les papes ont fait tout le contraire : avec une honteuse précipitation et même frénésie, ils se sont dépêchés, se mettant à leurs pieds, de frayer publiquement avec ces nouvelles "puissances" du diable, leur réputant validité formelle par la pratique concordataire, osant très-sataniquement invoquer en leur faveur, dans le plus grand mensonge, comme hélas le pape Pie VI l'a fait dans son très-scandaleux Bref Pastoralis Sollicitudo (1796), l'enseignement paulinien quant au devoir d'obéissance et de respect envers la "puissance", enseignement... qui, en vérité, les condamnait sans appel, eux papes modernes, d'oser réputer ainsi la validité à des sociétés politiques constitutionnellement non-ordonnées au Bien commun, ce qui est parler par euphémisme quand elles étaient constitutionnellement ordonnées au mal commun, par les "droits de l'homme".
           
        Quand on réfléchit bien aux assises profondes de "la crise de l'Église", la grande hérésie moderne, donc, n'est pas tellement Vatican II qui, très-notamment par la Liberté religieuse, met les "droits de l'homme" dans la Foi, c'est le Concordat napoléonien de 1801 qui met lesdits "droits de l'homme" dans les mœurs, le concile moderne n'étant que l'achèvement dans la Foi de l'apostasie que le Concordat avait mis dans les mœurs de l'Église et de la société deux siècles et demi auparavant (tant il est vrai que si je ne vis pas comme je pense, je vais être, tôt ou tard, obligé de penser comme je vis).
           
        Mais ce n'est pas ici le lieu pour moi, dans ce nouvel article, d'expliquer la théologie de "la crise de l'Église", d'exposer comment le catholique peut, dans la Foi, résoudre le problème fondamental que pose l'affreux constat susdit de voir les papes prévariquer radicalement, au niveau des mœurs d'abord, puis, deux siècles et demi de transvasement de la corruption des mœurs dans la Foi plus tard, au niveau de la Foi elle-même, sans devoir en conclure sans retour que "les portes de l'enfer ont prévalu contre l'Église" : je l'ai fait, moult fois fait, et bien fait je m'en rends bon témoignage, dans les autres articles ou livres que le lecteur trouvera sur mon site, où j'en conclue, bien au contraire d'une défaite définitive de l'Épouse du Christ devant Satan, que l'Église rentre par-là même dans l'économie de sa Passion propre et personnelle, qu'elle est ainsi faite, par les papes modernes, "péché pour notre salut" (II Cor V, 21), vivant depuis lors dans la "si grande contradiction" (He XII, 3) inhérente à "LA PASSION DE L'ÉGLISE", aux fins surnaturelles ultimes de vaincre définitivement Satan (bien au contraire d'être vaincue par lui), en co-Rédemptrice et à l'imitation de la victoire du Christ sur la croix (pour approfondir, on peut consulter notamment ces deux liens : https://eglise-la-crise.fr/index.php/fr/13-la-passion-de-l-eglise/7-la-passion-de-l-eglise-2 ; ou encore, quant à la dénonciation du Concordat napoléonien : http://www.eglise-la-crise.fr/images/stories/users/43/JaccuseLeConcordat.pdf).
           
        Pour lors, l'objet de ce nouvel article, je le répète, est seulement d'essayer de discerner, à l'aide de l'Histoire, les raison qui ont fait que les papes, entraînant toute l'Église avec eux, ont pu s'autoriser à prendre immédiatement la voie républicaine-démocrate proposée par les révolutionnaires, empruntant là, dans l'ordre politique constitutionnel inhérent aux mœurs, au rebours complet et satanique de leur mission divine en ce monde, cette infernale voie réprouvée qui, de Charybde en Scylla, mènera l'Épouse du Christ à son crucifiement et à sa mort dans son économie de salut actuelle du temps des nations, lequel crucifiement aura lieu à la toute-fin des temps, sous la main maudite de l'Antéchrist-personne, dans le cadre de son règne. Un second article ayant même sujet et même titre (II) suivra rapidement ce premier (I), dans lequel j'exposerai cette fois-ci que le pape Pie VI et les grands-clercs romains ne croyaient plus à la restauration de l'Ordre très-chrétien attaqué par la Révolution, dès 1794, époque à laquelle le génial premier ministre anglais, William Pitt, pourtant anglican, proposa au pape de patronner moralement une formidable coalition de toutes les puissances européennes, pas seulement celles catholiques, contre les armées révolutionnaires françaises : mais les papes furent tellement malmenés par les cours royales et princières pendant tout l'Ancien-Régime, comme nous l'allons voir maintenant dans cet article (I), qu'ils ne croyaient plus pouvoir vaincre la Révolution par ces roys et ces princes qui, depuis trop longtemps, n'avaient plus de très-chrétiens que le nom... Et c'est pourquoi on aura la douleur de voir le pape Pie VI non seulement laisser tomber, le plus lamentablement possible, le magnifique et très-providentiel plan Pitt pour renverser la Révolution, mais en outre, oser soutenir qu'il ne croyait plus aux "guerres justes" (!), rentrant déjà là dans une pratique hétérodoxe pacifiste que son successeur Benoît XV développera en plein aux temps de la guerre 14-18, scandalisant tout le monde à juste titre, faux argument qui, quant à Pie VI et en l'occurrence d'une guerre ayant pour seul et unique but de renverser la Révolution dans toute l'Europe, était particulièrement et même monstrueusement scandaleux. Une dernière précision. Ces deux nouveaux articles sont, quant au contenu, des tirés-à-part légèrement revus à partir de Notes de fin de texte de mon grand Traité de la religion royale française ou le vrai visage de Clovis, qu'on trouvera au lien suivant :http://www.eglise-la-crise.fr/images/pdf.L/TRRFCompletDuToutAvecNDDeGraçayA4.pdf.
           
        Or, tout part en effet du refus de plus en plus marqué des roys et princes autrefois très-chrétiens de continuer à se soumettre à l'Autorité spirituelle du Saint-Siège, à partir surtout de l'Ancien-Régime, c'est-à-dire grosso-modo durant les deux siècles du XVIIème et plus encore du XVIIIème. C'est cette mauvaise attitude des politiques qui déclenchera dialectiquement une autre mauvaise attitude des grands-clercs, celle de se tourner vers la forme républicaine-démocrate. ET LES GRANDS-CLERCS PURENT SE CROIRE AUTORISÉS À ADOPTER CETTE NOUVELLE ATTITUDE, PARCE QU’EN POLITIQUE, ILS AVAIENT L’ESPRIT RADICALEMENT PERVERTI PAR LA SCOLASTIQUE, LAQUELLE RAISONNE LA POLITIQUE EN PHILOSOPHE À PARTIR DU MODÈLE GRÉCO-ROMAIN ANTIQUE, ET NON EN SE BASANT SUR L'ORDRE TRÈS-CHRÉTIEN SACRAL SURNATURELLEMENT INITIÉ À LA NOËL 496 (ce que j'expose en profondeur dans Saint Thomas et les scolastiques ont trompé les papes qui nous ont trompé en Politique, qu'on pourra consulter au lien suivant : http://www.eglise-la-crise.fr/images/pdf.L/StThomas&LesScolastiquesOntTrompéLesPapesQuiNousOntTrompésEnPolitique.pdf).
           
        Faire un historique abrégé de cette nouvelle situation faite à l’Église, de rébellion sourde et implacable des princes contre l’Ordre spirituel durant tout l'Ancien-Régime, va donc être tout-à-fait utile, ne serait-ce que pour ne pas accuser la papauté de toutes les fautes, qu’elle n’a certes pas, et pour bien saisir les raison qui ont pu les pousser à adopter ce nouveau positionnement en matière Politique constitutionnelle qui, concrètement, au niveau des mœurs, était cependant rien moins qu'une... apostasie. Sauf indication contraire, je me servirai à présent de la très-belle page que nous donne l’Histoire des papes illustrée de Gaston Castella, 2ème édition, 1966, t. II, dans ses chapitres V à VIII inclus, dont je vais maintenant tirer de très-larges extraits. Les italiques et les majuscules dans le texte cité, seront de moi ; j'y rajouterai aussi quelques commentaires de temps en temps :
           
        "L’Ancien-Régime. — C’est le régime politique et social des nations européennes pendant les 17e et 18e siècles qui ont précédé la Révolution. Cette période est surtout caractérisée par l’avènement des monarchies absolues, par la centralisation des services administratifs et par l’affaiblissement ou la disparition des franchises locales [en fait, c’était, dans l’ordre sociopolitique, l’antichambre de la Révolution, par la suppression contre-nature des nobles ruraux, maillon essentiel de la civilisation très-chrétienne]. Il semble, à première vue, majestueusement ordonné, et présente, à la vérité, une grande complexité qui se retrouve dans sa situation religieuse. On a vu au cours de cet ouvrage, que, même au Moyen-Âge, bien des éléments avaient échappé à l’Église dans la civilisation ["bien des éléments" ?! : c’est là propos de libéralisme, dont hélas, l’auteur, semble quelque peu imbu...] ; toutefois, à considérer l’ensemble, elle en avait gardé la direction. Au début du «Grand-Siècle», après les crises d’ailleurs fécondes dans plusieurs de leurs parties, l’Église n’a pas reconquis l’empire qu’elle avait au Moyen-Âge sur la civilisation. Cet insuccès partiel ne nous a pas dissimulé, du reste, une rénovation qualitative d’importance capitale. Mais, à tout prendre, à l’âge du «baroque», la direction générale de la politique a déjà échappé à l’Église pour ne plus ressortir qu’à l’autorité des États. Dans l’ordre social, enfin, l’âge de la restauration catholique ne semble pas avoir apporté de restauration profonde ; tributaire sur ce point de la Renaissance et de l’humanisme, elle est demeurée trop aristocratique, et les problèmes sociaux n’ont guère retenu l’attention de ses penseurs.
           
        "Le premier événement, générateur d’un nouvel ordre politique européen [voyez comme l’auteur définit l’Ancien-Régime, avec raison, comme une véritable cassure d’avec les siècles très-chrétiens qui le précèdent], est la guerre de Trente ans. Elle se termina par les Traités de Westphalie (1648). (...) L’influence de la papauté en fut profondément atteinte. «On peut tracer en grandes lignes l’histoire politique des 17e et 18e siècles, écrit un historien catholique, sans mentionner la papauté. Elle dit son mot dans le concert des puissances secondaires de l’Europe, concert modeste et précaire, qu’étouffe l’orgueilleuse voix des grandes puissances [France, Autriche, Espagne, Angleterre]. Le nouveau droit public lui dénie tout autre rôle. Aux congrès de Westphalie, ce droit a trouvé sa charte ; en vain, le Saint-Siège proteste-t-il, en vain ses nonces prennent-ils congé de ces congrès, les congrès de Westphalie sont un congé signifié à la papauté elle-même» (G. Goyau, A. Pératé, P. Fabre : Le Vatican. Les papes et la civilisation. Le gouvernement central de l’Église. Paris, 1895, pp. 181-183 [ces auteurs sont certes des libéraux, mais le tableau ici brossé par eux est parfaitement véridique])".
           
        Un autre auteur a la même analyse de fond : "Pénétrés de telles maximes, tous résolus à être chez eux maîtres absolus, princes protestants et princes catholiques se trouvaient d’accord pour exclure à peu près complètement le pape du domaine de la politique internationale ; ou du moins, ils ne lui ouvraient la porte qu’en tant que souverain temporel de l’État pontifical. Pour eux, l’idée de chrétienté avait à peu près sombré. On ne le constata que trop dans les délibérations du fameux congrès de Westphalie contre lequel, après avoir rappelé ses nonces, le pape Innocent X ne put que protester. Le plus grand ministre des Affaires étrangères de Louis XIV, Hugues de Lionne, ne disait-il pas  cyniquement : «Qu’importe au Pape que la France soit catholique ou hérétique ? En est-il moins pape pour avoir perdu l’Angleterre ? Serait-il pas plus grand prince, s’il n’était que le seigneur de Rome et de l’État ecclésiastique ?» Hélas ! on sait comment les ministres de Louis XIV traitèrent «le seigneur de Rome» chaque fois qu’il se trouva en conflit avec le Roy et de quelles avanies ils l’abreuvèrent" (Conférences de Notre-Dame de Paris - Carême 1928, 4ème conférence, Mgr Baudrillart, Éd. Spes, en six fascicules - pp. 13-14).
           
        Mais voyons en profondeur quel est ce nouvel ordre engendré par les Traités de Westphalie, il nous intéresse au premier chef. "Innocent X (1644 1655) vit son pontificat assombri par une paix basée, non sur le droit et la justice, mais sur un simple équilibre de forces. Au point de vue religieux, la paix de Westphalie introduisait le principe de l’égalité des cultes chrétiens [indifféremment protestant et catholique, veut dire l'auteur ; elle est donc l'ancêtre hétérodoxe de la très-hérétique Liberté religieuse promulguée à Vatican II...]. Elle maintint les dispositions de la paix d’Augsbourg (1555) sur le «réservat ecclésiastique» et, pour couper court aux difficultés qui s’élevaient à propos de la possession des biens ecclésiastiques et de l’exercice du culte, on fixa une «année normale» ou «décrétoire». La diplomatie française fit adopter l’année 1624, qui était favorable aux catholiques parce qu’à cette date les péripéties de la guerre avaient donné une prépondérance marquée au catholicisme [c’est-à-dire que les biens disputés entre catholiques et protestants étaient réputés appartenir à celui qui le possédait en 1624, qu’il soit protestant ou catholique : quel inqualifiable mépris des droits de la Religion catholique véritable et donc de Dieu ! Mépris du droit de l'Église qui sera répliqué pour copie conforme, et cette fois-ci par le pape lui-même, Pie VII cédant dans un article du Concordat tous les biens ecclésiastiques de France lésés pendant toute la période révolutionnaire, non plus seulement à des protestants, mais, bien pire, à un gouvernement constitutionnellement athée...]. Mais l’exercice légal et public du culte eut toujours pour règle et pour mesure officielle la religion même de l’État, cujus regio, illius et religio, conception bâtarde que le droit chrétien et le moderne s’accordent à réprouver pour des motifs contradictoires. Les traités proclamaient aussi le principe essentiellement protestant de la suprématie du pouvoir civil. Ces clauses religieuses, ainsi que les nombreuses sécularisations d’évêchés et d’abbayes décrétées en faveur de souverains luthériens et calvinistes (les deux confessions protestantes avaient été mises sur le même pied d’égalité), motivèrent les énergiques protestations du Saint-Siège. La papauté n’avait pas cessé, on l’a vu, de travailler au rétablissement de la paix européenne. Mais le nonce Chigi avait été impuissant, à Münster, à détourner les belligérants de leur tendance universelle à opérer cyniquement le partage du butin en sacrifiant sans vergogne les considérations de justice, les droits de l’Église ET LES RÈGLES DE L’ORDRE SOCIAL CHRÉTIEN. Si le concours de la diplomatie française avait circonscrit le dommage dans une certaine mesure [… ah !, tout-de-même !, la "fille aînée de l'Église" voulait bien se souvenir quelque peu de sa vocation divine...!], le dommage n’en fut pas moins commis.
           
        "La paix de Westphalie demeure ainsi une date décisive dans l’histoire de la désorganisation du droit public de l’Europe par l’abandon systématique des nobles traditions qui avaient été l’âme de la Chrétienté du Moyen-Âge [traditions très-chrétiennes, donc, basées essentiellement sur le droit divin direct, celui de l'Église romaine bien sûr mais encore celui de l'Ordre très-chrétien basé sur la France]. C’est pourquoi le pape Innocent X, par la bulle Zelo Domus Dei [tout un programme, ce titre !] du 26 novembre 1648, déclara «nuls, vains, invalides, iniques, réprouvés, sans force et sans effets... tous les articles du traité portant préjudice à la Religion catholique, au culte divin, au Siège apostolique romain, ainsi qu’aux Églises inférieures». La protestation pontificale contre une évidente injustice touche au cœur même de la question primordiale que posent les Traités de Westphalie. La conception politique dont ils s’inspirèrent, où des historiens et des juristes ont salué la charte constitutive de la diplomatie moderne, est l’équilibre européen, le «principe» d’équilibre, au dire de certains auteurs, ou mieux, la politique d’équilibre. La préoccupation concrète des adversaires de la Maison d’Autriche de mettre un terme à sa prépondérance excessive en Europe donna naissance à un système général qui devint la règle théorique et permanente de la politique européenne depuis les Traités de Westphalie. Elle peut s’énoncer ainsi : pour garantir l’indépendance et la sécurité de tous les États de l’Europe, aucun d’eux ne devra posséder une telle prépondérance qu’il ne puisse facilement être tenu en échec par les autres puissances dans le cas d’une entreprise ambitieuse et abusive. C’est l’aspect initial ou plutôt négatif du système. Il s’achèvera dans la suite et prendra le caractère d’une règle positive. Les principaux États de l’Europe sont censés représenter, par eux-mêmes ou par le groupement de leurs alliances, des forces à peu près équivalentes qui se font contrepoids. Cet équilibre des forces étant la garantie de la paix européenne et de la sécurité politique de chaque État, à tout accroissement extérieur de puissance d’un grand État européen devra correspondre une extension équivalente des autres grands États de manière à conserver la balance intacte. Cette conception a régi le droit international de l’Europe du 17e siècle à nos jours [c’est, si l’on y réfléchit bien, carrément une conception maçonnique de la paix européenne, uniquement basée sur la rationalisation d’une situation géopolitique existant à un moment donné de l’Histoire : moment forcément fugace et éphémère, car personne n’a la clef, sauf Dieu, de la vie des Nations, de leur évolution et de leur destinée ; il s'agit donc d'une paix purement babelesque, que les hommes se donnent entre eux, uniquement fondée sur des vouloirs humains, des ententes humaines, à l’exclusion formelle de la Volonté divine : ces fameux Traités de Westphalie sont donc déjà tout-à-fait dans l’esprit de... l’ONU]".
           
        Le lecteur n’est évidemment pas sans remarquer que, donc, dès la deuxième moitié du XVIIe siècle, les États européens, qui avaient cependant tous reçu vocation très-chrétienne, s’organisaient politiquement par un pacte républicain humaniste, maastrichien avant la lettre, pacte qui excluait formellement non seulement le droit divin direct de la France (cela va sans dire) mais tout droit divin dans toute vie politique et étatique des hommes, en commençant par exclure en avant-première le droit divin de l’Église et de la papauté sur la Politique internationale. Mais il faut bien comprendre que si l’on arriva à une telle extrémité, déjà complètement révolutionnaire et antichrist plus d'un siècle avant la Révolution, c’est parce qu’auparavant LE DROIT DIVIN DIRECT DE LA FRANCE, FONDEMENT DE L'ORDRE TRÈS-CHRÉTIEN, N’AVAIT PAS ÉTÉ ASSEZ EXPLICITÉ. ET EXPLICITÉ D'ABORD PAR L'ÉGLISE ET SES PAPES. C’est précisément à l'occasion des Traités des Westphalie que, pour la première fois depuis la Noël 496, le droit de prééminence de la France sur les autres Nations lui fut contesté : comment mieux dire qu’on entendait formellement rejeter l’Ordre politique international très-chrétien fondé par Dieu sur la France pour tout le Temps des Nations ! "Le 14 juillet 1650 [... oh !, cette date !!!], à l’occasion d’un banquet diplomatique donné à Nuremberg par l’empereur Ferdinant III pour célébrer la paix de Westphalie (1648), l’ambassadeur français était mis sur le même pied que l’ambassadeur suédois. Pour la première fois, de temps immémorial, le droit de la France était violé : l’ambassadeur français quitta la salle du festin ; ce fut une affaire d’État que le protocole eut beaucoup de mal à régler pacifiquement" (Jeanne d’Arc et la Monarchie, abbé Marie-Léon Vial, p. 23, note 1). Voilà certes une affaire d’État qui n’aurait justement pas dû être réglée pacifiquement, à moins d’une réparation diplomatique complète et éclatante devant toutes les Nations : en vérité, aucun motif de guerre juste n’aurait été plus juste que celui-là, parce qu’il s’agissait rien moins que de défendre l’Ordre très-chrétien voulu par Dieu et fondé sur la France, qui assurait le salut des hommes en Politique !... Et quand à l’Église, on voit assez par la bulle indignée du pape Innocent X, Le zèle de la Maison de Dieu, le cas qu’on en faisait : elle n’existe tout simplement plus dans l'esprit des politiques d'Ancien-Régime !! Et l’on voit encore bien par-là l’union indissoluble du droit divin direct de la France et de l’Église : rejeter l’un, c’est rejeter l’autre. Autrement dit, par la mise sur la touche des deux Institutions divines procurant le salut en Politique, c’est déjà là, au beau milieu du XVIIe siècle, dans la sphère politique internationale, la première révolution, le premier rejet de l’Ordre très-chrétien, quand bien même on agit encore sous couverture chrétienne (mais plus... catholique, car les protestants sont mis à pied d’égalité avec les catholiques : c’est déjà en actes, la pratique de la Liberté Religieuse de Vatican II). On alla jusqu’à des monstruosités : dans l’année 1729, le tristement célèbre abbé de Saint-Pierre exaltera sans aucune retenue ce nouvel ordre humaniste et rationaliste entre les hommes (... qui avait séduit le roy Henri IV lorsque, déjà, les subversifs le lui avaient fait connaître en son temps), dans son utopie certes dérisoire mais surtout incroyablement impie Mémoire pour rendre la paix perpétuelle, laquelle était si outrée qu’elle fera même sourire Voltaire par sa démesure ! Bien évidemment, nul droit divin au niveau politique dans l'utopie du triste abbé, qu'il soit direct dans la France ou indirect dans les autres nations européennes ; la France n’est qu’un des éléments de l’échiquier, rien de plus.
           
        Et précisément, l’auteur, dans son commentaire de la nouvelle politique internationale humaniste mise ainsi en route par les nobles et princes autrefois très-chrétiens dans les Traités de Westphalie, va nous permettre de mieux comprendre pourquoi les papes ont fini, pour rejeter ce nouvel ordre à coloration chrétienne mais en vérité humaniste voire antichrist radical, par souhaiter la création d’une autre organisation sociopolitique internationale plus authentiquement chrétienne que ce qu’était devenu le pouvoir très-chrétien dans des mains nobles devenues ingrates et rebelles au Surnaturel. Le problème, l’immense problème, c’est que, l’esprit déformé par la scolastique, les grands-clercs ne comprirent pas plus que les cours très chrétiennes, que DIEU AVAIT PARLÉ EN POLITIQUE INTERNATIONALE, en désignant la France pour être Son mandataire direct auprès des Nations, aux fins d’assurer la paix internationale. Les grands-clercs avaient donc autant le devoir de se référer à l'Ordre politique très-chrétien sacral basé sur la France, que, de leur côté, les roys, à commencer certes par celui de France, avaient à se référer et soumettre à l'Ordre religieux basé sur l'Église romaine.
           
        C'est là la grande déviance : les roys ne croyaient plus au droit divin direct de l’Église, les clercs croiront pouvoir y pallier en... supprimant le droit divin direct du roy de France et des roys en général. Voulant prémunir les âmes de la peste, ils leur inoculeront le choléra : si l’on regarde attentivement la solution de remplacement qu’ils essaieront de trouver par la formule républicaine-démocrate promue par le pape Pie VII, on se rend compte qu’elle n’est en fait qu’une dialectique copie du nouvel ordre international HUMANISTE prôné dans les Traités de Westphalie. En effet, apparemment, l’Ordre international républicain-chrétien basé sur les peuples, prôné par Pie VII et mis ardemment en oeuvre par lui au moyen du Concordat napoléonien, est aux antipodes absolus de l’autocratique et aristocratique organisation humaniste des cours d’Ancien-Régime, mais en réalité, par leur rejet identique du droit divin direct, que ce soit celui de l'Église par les roys ou celui de l'Ordre politique très-chrétien par le pape, ils sont dans le même camp réprouvé. Exactement pour la même raison que les USA élitistes ne pouvaient que se trouver d’accord avec l’URSS prolétaire, car leur fondement antichrétien est exactement identique, quand bien même ils vont au but par des chemins radicalement opposées. À quoi, en effet, sert-il bien de remplacer les roys par les peuples, si, pas plus que ceux qu’on réprouve à juste raison, l’on n’insère le droit divin direct dans l’Ordre international qu’on veut promouvoir ?! À RIEN, SAUF AU PIRE. C’est pourquoi, on verra la papauté moderne avec l’Église officielle tout entière, finir par s’acoquiner avec l’ONU, sous Pie XII, cet ONU qui au fond est le dernier enfant bâtard des Traités de Westphalie... non moins que le dernier rejeton cagneux du Concordat de Pie VII.
           
        Le pape Pie XII, en effet, à la veille de la création de l'ONU, conclura le radio-message de Noël 1944 par ces phrases, dont il n'est certes nul besoin de montrer l'analogie avec le projet impie westphalien consistant à confier aux hommes la création de la paix universelle entre les nations, prérogative qui n'appartient qu'à Dieu, ce qui est particulièrement grave quand on s'appelle le pape et qu'on se dit, tel Pie XII, attaché audit projet babelesque... plus que personne : "Formation d’un organisme commun pour le maintien de la paix.— Les décisions connues jusqu’ici des Commission internationales permettent de conclure qu’un point essentiel de tout aménagement futur du monde serait la formation d’un organisme pour le maintien de la paix, investi de commun accord d’une autorité suprême [!!!] et qui aurait aussi dans ses attributions d’étouffer dans son germe toute menace d’agression isolée ou collective. PERSONNE ne pourrait saluer cette évolution AVEC PLUS DE JOIE que celui qui a défendu DEPUIS LONGTEMPS le principe que la théorie de la guerre comme moyen apte et proportionné de résoudre les conflits internationaux, EST DÉSORMAIS DÉPASSÉE. (...) PERSONNE ne saurait souhaiter plus ardemment plein et heureux succès que [Nous-même, à cette évolution aboutissant à la création d’un organisme juridique international s’arrogeant le droit de gérer politiquement les Nations]. (...) Car si s’ajoute la menace d’une intervention juridique des nations et d’un châtiment infligé à l’agresseur par la Société des États, alors l’humanité pourra sortir de la nuit obscure où elle est restée si longtemps submergée ; elle pourra saluer l’aurore d’une nouvelle et meilleure époque de son histoire". Inutile de souligner qu'ici le pape épouse, ... et avec quel enthousiasme scandaleux !!, le projet babelesque, de westphalien devenu onusien.
           
        Mais continuons à lire notre intéressant historien, pour mieux comprendre la suite des évènements : "[Le nouvel ordre international promu par les Traités de Westphalie,] c’est une politique, ce n’est pas un principe. C’est une recette politique qui a eu sa raison d’être depuis la disparition de l’édifice social et juridique de la Chrétienté du Moyen-Âge [... oui certes, il a disparu, cet édifice très-chrétien, mais parce que les hommes l’ont fait disparaître par leur abandon de la Foi ! Il n’a pas disparu tout seul ! Il faudrait tout-de-même le dire !]. Elle peut permettre de garantir l’ordre européen [... mis en péril par la rébellion humaniste de l’homme ayant supprimé l’équilibre européen très-chrétien...] si elle est complétée par des considérations supérieures de droit et de justice. La balance des forces est une considération, mais non pas la seule qui doive entrer en ligne de compte. Il y a encore et surtout le droit des États, le droit des peuples, leurs intérêts ou leurs aspirations légitimes, leurs traditions respectables et l’honnêteté nécessaire dans les rapports mutuels, dans la fidélité aux engagements, dans le respect du bien d’autrui [... Après avoir supprimé la Politique très-chrétienne et donc la loi morale, l’homme est bien obligé d’y revenir, mais au lieu de reprendre l’Ordre très-chrétien qui manifestait par surcroît cette morale politique, on va réinstaurer un essai de morale politique par des pactes purement humains, accroissant ainsi la perversion puisque la loi morale prendra sa source non en Dieu mais en l’homme !]. Quand la politique d’équilibre a pour objet de sauvegarder tous ces biens d’un ordre supérieur, elle est excellente, mais ne constitue pas encore à elle seule la règle suprême du droit international. Au contraire, quand l’équilibre des forces devient, comme aux Traités de Westphalie, un principe souverain auquel on croit légitime de sacrifier tout le reste, on érige un droit qui est la négation du droit. Ce «principe» d’équilibre porte alors en soi toutes les tares des morales de l’intérêt et dénature le caractère essentiel du droit et du bien. Il ne fut trop souvent qu’une combinaison empirique où les droits des faibles furent sacrifiés aux convenances des forts. «Les convenances de l’Europe sont le droit», déclarait un diplomate au Congrès de Vienne (1815). À quoi, un autre répondit : «Je mets le droit d’abord, les convenances ensuite». La politique d’équilibre ne constitue donc pas une charte d’organisation européenne, comme d’aucuns l’ont prétendu, et n’établit nullement une communauté organique des puissances, communauté que l’Europe et le monde attendent encore [!!!], et qui doit, pour être viable et conforme à la morale éternelle, être réalisée dans la liberté et le respect des droits de tous".
           
        Cette communauté organique des puissances désirée par l’auteur, formule que Pie XII reprendra presque mot pour mot dans ses incroyables Noëls de guerre laïcistes, et dont il dira souhaiter "plus que personne" (Noël 1944) l’instauration, et avec quel ardeur enthousiastique hélas, mais quelle est-elle, sinon la manifestation de l’inouïe et luciférienne prétention démiurgique pleine d’orgueil et d’illusion de la part de l’homme de re-créer lui-même l’Ordre international en totale autonomie et autarcie par rapport à Dieu, un Ordre que Dieu avait déjà instauré aux assises de la Société très chrétienne, à la Noël 496 ? Ou du moins une illusion babelesque de re-création, car l’homme n’a pas la puissance de créer en Politique, pas plus que dans d’autres domaines ? Une telle prétention, qui remplit l’âme pie d’effroi et d’horreur, fait immédiatement penser à Lucifer dont Isaïe nous révèle qu’il voulait établir son trône au-dessus du Trône de l’Éternel. Pas de péché plus grand. Or, ni l’auteur que je cite, ni Pie XII, ce qui est beaucoup plus grave de la part d’un pape, ne prendront conscience de ce péché babelesque, ils ne daigneront pas se souvenir que cet Ordre sociopolitique international qui fait tant défaut à l’homo modernus, a déjà été fondé par le Christ à la Noël 496, que c’est un prodigieux don de Dieu à l’homme qui le décharge de tout le souci politique, fardeau insupportable et écrasant pour lui, homme déchu, et que le devoir de l’homme est de s’y référer et d’en user, comme étant son salut, avec grande reconnaissance. Il y a donc dans ce projet moderne post-westphalien de fonder humainement une communauté organique des puissances basée non plus sur le primaire équilibre des forces mais sur le droit moral UNE INJURE INOUÏE À LA PROVIDENCE DIVINE. Car dans la nouvelle formule, loin de purger le projet westphalien de son poison mortel (= bâtir l’édifice politique sur l’homme et non sur Dieu), on accroit plus encore la perversion en faisant découler de l’homme non plus seulement l’équilibre des forces, mais l’équilibre du bon droit et de la justice. Ce n’est plus les corps que l’homme prétend gérer (rapport de forces politiques), c’est les âmes (par la force morale ordonnée de soi à l’âme et à Dieu). On délègue de plus en plus la mission du salut politique universel à l’homme, en l’enlevant de plus en plus à Dieu... Mais l’homme n’est qu’une illusion d’optique quand il prétend agir tout seul sans le monde surnaturel, c’est pourquoi cette conspiration contre l'Institution divine de la politique universelle gîtant dans l'Ordre très-chrétien et en définitive contre Dieu, qui s’en rit d’ailleurs l’Écriture nous le révèle, donnera tout pouvoir d’agir au Grand-Prestidigitateur, à Satan, à l’heure de Dieu. Au lieu d’être la délivrance de l’humanité, l'utopie de la paix westphalienne devenue de nos jours onusienne aboutira à nous donner, et ce sera fort juste punition, l’effroyable flagellation de la race humaine tout entière sous la verge de fer du règne maudit de l’Antéchrist.
           
        Mais pour l’instant, continuons à nous instruire et voyons à quel point les papes furent martyrisés par les cours très-chrétiennes redevenues païennes, et combien on peut certes les excuser d’avoir voulu chercher une solution au problème que posait la rébellion larvée des grands, sans pour autant pouvoir les justifier d’avoir versé eux-mêmes, hélas, dans une rébellion aussi répréhensible contre l’Ordre politique divin (l’auteur intitulera d’ailleurs un de ses chapitres : "Le martyre de la papauté") :
           
        "On comprend, d’après ce qui précède, pourquoi la papauté éleva une protestation solennelle contre les Traités de Westphalie, quelle qu’ait pu être leur utilité immédiate pour mettre fin à la guerre de Trente ans. Sa protestation, sans doute, fut vaine. Parmi les hommes d’État de cette époque qui, suivant l’expression d’Innocent X, «cherchaient plutôt leurs intérêts que ceux de Dieu», nul ne paraît s’être trop ému d’une protestation que le pape avait faite pour libérer sa conscience «afin, disait-il, de n’être pas accusé de négligence au jour où il paraîtrait devant le tribunal de Dieu». L’empereur [d’Autriche] lui-même interdit la diffusion de la bulle Zelo Domus Dei, et les princes ecclésiastiques allemands, à l’exception d’un seul, «omirent» d’en autoriser la publication. Ils craignaient tous que les catholiques d’Allemagne ne subissent de nouveaux dommages du fait d’adversaires irrités de la protestation pontificale. LORSQUE DISPARUT INNOCENT X [1655], CE NE FUT PAS SEULEMENT LA MORT D’UN PAPE. C’ÉTAIT LA FIN D’UN RÉGIME, D’UN ÂGE OÙ LES SOUVERAINS PONTIFES POUVAIENT ENCORE FAIRE ENTENDRE LEUR VOIX POUR SAUVEGARDER L’ORDRE CHRÉTIEN DANS UNE EUROPE QU’ILS AVAIENT NAGUÈRE CIVILISÉE ET ORGANISÉE. (...) À Rome, dans la galerie Doria, on admire le portrait d’Innocent X par Velasquez. Le peintre, l’un des plus grands de son siècle, a rendu avec une fidélité impitoyable la prudence, mais aussi la méfiance du vieux pontife, qui se lisent dans ses yeux gris bleu au regard perçant et impénétrable. En face de l’absolutisme grandissant, les papes, tout en restant fermes sur les principes, comme Innocent X l’avait été devant le jansénisme et l’abus de droit des Traités de Westphalie, allaient devoir user plus que jamais de réserve et de prudence sans se méprendre d’ailleurs sur la décadence de leur prestige".
           
        Abordons maintenant le pontificat du pape suivant, Alexandre VII (1655-1667). "Dans la seconde moitié du 17e siècle, les progrès de l’absolutisme font passer au premier plan les intérêts politiques qui supplantent ceux de la religion. Les princes catholiques ont une tendance de plus en plus marquée à considérer l’Église comme un instrument de gouvernement. Ils entendent bien la servir et, au besoin, la défendre, mais ils veulent qu’elle leur soit subordonnée. Lorsque la morale contredit la raison d’État, c’est la seconde qui l’emporte. Le déclin de la papauté est manifeste depuis les Traités de Westphalie qui ont fait passer les intérêts des princes devant ceux de l’Église. La papauté doit se retrancher désormais dans le domaine ecclésiastique et ne peut plus faire entendre qu’une faible voix dans le concert des puissances. Elle proteste contre les nouvelles formes de l’erreur ; elle le fait avec force et autorité. Elle ne peut empêcher néanmoins les progrès lents, mais constants, de la libre pensée naissante qui triomphera au siècle suivant. De ce déclin de l’influence du Saint-Siège, les papes ne sauraient être tenus pour responsables. Ils furent dignes et capables, quelques-uns même eurent une valeur éminente. La cause profonde de l’abaissement de la papauté doit être recherchée dans la victoire de l’absolutisme et dans les nouveaux courants de la pensée. L’attitude des princes à l’égard de l’Église a contribué finalement à ébranler l’Église et l’État ; l’orgueil de Louis XIV, se complaisant à humilier le Souverain Pontife, est, comme son absolutisme politique, une cause lointaine de la Révolution". Le tableau est hélas bien peint. Il est un fait, petit en apparence, mais qui illustre assez bien les mauvaises relations entre l’Église et les États chrétiens : à partir de l’élection d’Alexandre VII, on verra se former un parti très-influent de cardinaux qui en avaient tout-à-fait "ras l’bol" de l’influence de la puissance politique sur les élections papales, aux fins de la seule raison d’État, ou pire d’intérêts humains inférieurs : "Les membres du Sacré-Collège ne voulaient être les obligés de personne, ni se laisser guider par des influences politiques, mais élire celui qui leur paraîtrait le plus digne. Se promettant de n’obéir qu’à leurs propres convictions, il formèrent entre eux un groupe que l’ambassadeur d’Espagne désigna sous le nom d’«escadron volant», qui leur resta et qui désigna dans la suite des associations semblables.
           
        "Dans les dernières années de son ministère [vers 1660], Mazarin ne cessa pas de créer des difficultés au pape. Il soutint les prétentions des Farnèse et des Este contre le Saint-Siège et, surtout, écarta la papauté des négociations qui aboutirent en 1659 à la paix des Pyrénées, signée par l’Espagne vaincue. C’était là une nouvelle preuve du déclin de la puissance pontificale, empêchée de faire entendre sa voix dans un accord entre deux monarques catholiques [c’était plus grave encore que pour le Traité de Westphalie où des puissances protestantes étaient intervenantes...]. Le Saint-Siège ne devait pas tarder à éprouver les effets [de l’hégémonie de Louis XIV]. Un incident des plus mesquins (une rixe entre des soldats de la garde corse du pape et les gens du duc de Créqui, ambassadeur de France à Rome), fut exploité par Louis XIV, qui avoua lui-même que sa colère était feinte. Le «roy-soleil» renvoya le nonce de Paris et fit occuper Avignon et le Comtat Venaissin, terres pontificales, menaça d’envoyer des troupes en Italie et obligea Alexandre VII à lui faire présenter des excuses par son neveu, le cardinal Flavio Chigi, et à faire ériger à Rome une pyramide en souvenir de l’offense et de la réparation [!!]. Après la signature de la paix de Pise (1664), qui avait mis fin à cette triste affaire, Avignon et le Comtat Venaissin furent restitués au Saint-Siège qui sut désormais à quoi s’en tenir sur les prétentions de Sa Majesté très-chrétienne [hélas !]. Ce ne fut pas le dernier conflit entre Rome et le Louvre. Le 17e siècle, si grand dans l’histoire de la pensée, si important dans la politique par le triomphe de l’absolutisme et par l’hégémonie de Louis XIV qui étendit la civilisation française à l’Europe, n’a pas un moindre relief dans l’histoire religieuse. Tandis que les princes chrétiens, on l’a vu, achevaient de rompre les liens politiques qui les rattachaient à la papauté et n’acceptaient du Concile de Trente que les dispositions qui ne gênaient pas leurs prérogatives politiques, l’esprit du grand concile se répandait partout en Europe et y multipliait les fruits de la réforme catholique. Une renaissance magnifique et diverse se manifesta de toutes parts".
           
        Hélas, le bon grain n’allait pas tarder à être étouffé par l’ivraie. "Pour faire la révolution dans les esprits, dans les mœurs, et plus tard dans les lois, les «philosophes» ont su capter toutes les classes sociales, et leur influence a été européenne. Ils ont organisé l’opinion, qui avait de justes raisons de se plaindre de l’état politique et social de l’Ancien-Régime, au moyen de toute espèce de sociétés, dont la franc-maçonnerie a été le type le plus parfait, et auxquelles un penseur original et profond, Augustin Cochin, a donné le nom, exactement choisi, de «sociétés de pensée». Aucun des problèmes politiques, économiques et sociaux qui s’imposaient à l’attention de la monarchie française n’était insoluble, si une crise intellectuelle et morale n’avait atteint l’âme française et l’âme européenne dans leurs profondeurs. Si, vers la fin du siècle, l’opinion a pris l’habitude d’associer philosophie, liberté et réformes, c’est aux «philosophes» qu’on le doit. Ils ont si bien transformé les esprits en les déshabituant du respect de la tradition, tant religieuse que politique, les ont si bien accoutumés à l’idée d’un changement possible, que nombre de privilégiés eux-mêmes, bénéficiaires de l’ancien ordre des choses, se sont pris d’un engouement extraordinaire et surprenant pour la «philosophie». Il se forma ainsi comme une ligue universelle contre l’autorité, l’autorité religieuse surtout, et les roys eux-mêmes, qui se targuaient de pratiquer le «despotisme éclairé» aux dépens de l’Église, sont responsables en grande partie de la destruction des forces vives du christianisme. De cette poussée irrésistible, à laquelle on voit participer philosophes, gallicans et jansénistes contre les jésuites, le plus ferme soutien de la papauté, l’Église, la noblesse et la royauté elle-même seront les victimes. Lorsque la Compagnie de Jésus sera traquée dans différents pays et finalement supprimée par le Saint-Siège, circonvenu et menacé par les monarques imbus de «philosophie», nul ne se méprendra sur l’importance de sa défaite. Et quand le siècle s’achèvera, les révolutionnaires, qui venaient de renverser la royauté en France, croiront que la dernière heure de la papauté a sonné. La papauté devait endurer de grandes souffrances pendant tout le 18e siècle. La libre pensée se flattait de la réduire à néant. Quant aux souverains catholiques, prétendus amis et soutiens du Saint-Siège, ils ne s’imposaient quelques ménagements envers lui que dans la mesure où leurs intérêts étaient en jeu. Le monde diplomatique, brillant et raffiné, assez disparate de vie et de croyance, mais plutôt sceptique dans l’ensemble, s’entendait à merveille sur un point : se coaliser contre la Compagnie de Jésus pour la faire disparaître.
           
        "Lorsque Clément XI fut élu pape (1700-1721), la situation politique était si enchevêtrée, les intérêts en jeu si considérables, qu’un autre pontife plus résolu n’eût probablement pas mieux réussi que lui à surmonter les obstacles que les compétitions des puissances accumulaient devant le Saint-Siège. La situation faite aux Souverains Pontifes depuis les Traités de Westphalie et les victoires de Louis XIV ne leur permettait guère de jouer qu’un rôle secondaire dans le concert des grands États, uniquement soucieux de l’équilibre européen entendu à leur profit. Les convenances de la papauté, tant comme puissance morale que comme État italien, ne devaient pas peser lourd dans les calculs de Sa Majesté Apostolique, du Roy Catholique et de Sa Majesté Très-Chrétienne. [Dans l’affaire de la succession d’Espagne (1701-1714)], une offre de médiation de Clément XI ne pouvait être que de peu d’effet. Ses sympathies allaient à Philippe V et il eut une première déception lorsqu'il vit que le petit-fils de Louis XIV, aussi bien que l’empereur Léopold 1er, lui contestaient ses droits de suzeraineté sur la couronne de Naples et la Sicile ; un différend devait naître, à la fin de la guerre, à propos de la grande île. Pour l’instant, le pape fut péniblement affecté par l’attitude de l’empereur qui reconnut la dignité de roy de Prusse à l’électeur Frédéric de Brandebourg afin de le rallier à sa cause (1701). Le Saint-Siège protesta en faisant valoir qu’il devait être consulté lorsqu’il s’agissait d’ériger un nouveau royaume [c’est effectivement une prérogative du pape très importante pour l’Ordre très chrétien]. Il avait d’autant plus de raison de se plaindre que l’État prussien se fondait sur la possession des terres de l’Ordre teutonique, sécularisées lors de la Réforme. Mais la protestation pontificale ne trouva pas plus d’écho à Vienne, la catholique, qu’à Berlin, la capitale du jeune royaume protestant. La politique de Clément XI fut interprétée dans le camp impérial comme une manifestation favorable à la France, et l’Italie ayant été envahie par les troupes autrichiennes, les États de l’Église connurent aussitôt le risque d’être occupés. On en vint, en 1708, à une guerre déclarée entre le pape et l’empereur. Elle tourna à l’avantage de l’Autriche et la paix, signée l’année suivante, imposa à Clément XI la reconnaissance de Charles III, frère de l’empereur comme roy d’Espagne. La riposte de Philippe V [petit-fils de Louis XIV, rival de Charles III] ne se fit pas attendre : le nonce apostolique à Madrid reçut ses passeports et Philippe saisit les revenus pontificaux qui provenaient d’Espagne. Le malheureux pontife, qui n’avait cédé aux exigences impériales que par la crainte d’un nouveau sac de Rome, se voyait littéralement pris entre l’enclume et le marteau. La fin des hostilités n’apporta pas plus de satisfaction au pape, et l’on put mesurer à quel degré d’abaissement était ravalé le Siège apostolique.
           
        "Il essuya une nouvelle humiliation à l’avènement du successeur de Joseph 1er, l’empereur Charles VI. Le nonce envoyé à cette occasion à Francfort, qui était le propre neveu de Clément XI, le cardinal Annibal Albani, ayant protesté contre l’avènement de Charles III comme roy d’Espagne, fut purement et simplement éconduit. Les traités de paix d’Utrecht et de Rastatt (1713 & 1714) avaient attribué la Sicile au duc Victor-Amédée II de Savoie. Le droit de suzeraineté du pape sur la Sicile fut violé, et le nouveau roy voulut y exercer aussitôt certains privilèges ecclésiastiques que les papes avaient toujours contestés. La suppression de ces droits séculaires par la bulle Romanus Pontifex du 20 février 1715, fut suivie de l’expulsion des ecclésiastiques de la Sicile dont le Saint-Siège dut assurer, à grands frais, l’entretien. Le pape ne fut pas non plus consulté lorsque le duc de Savoie reçut la maigre Sardaigne, avec le titre de roy, en échange de la riche Sicile, remise à l’Autriche (traité de Londres, 1720). Clément XI obtint, en revanche, une certaine satisfaction aux traités de Baden et Rastatt. Malgré les efforts de l’Angleterre, de la Hollande et de la Prusse, il obtint que l’exercice de la religion catholique fût assuré dans les pays rhénans cédés par la France. Clément XI mourut le 19 mars 1721 ; une simple dalle de marbre dans la chapelle du chœur de Saint-Pierre marque son tombeau. Ce pape, zélé, pieux, et dont la vie fut irréprochable, avait eu les plus grandes difficultés à concilier ses devoirs de père commun des fidèles avec ceux du prince italien qu’il était aussi. Il avait pu se rendre compte combien les droits du Saint-Siège pesaient peu dans les balances des grands monarques lorsque leurs intérêts étaient en jeu ; en dépit des phrases pompeuses et des révérences de cour, la raison d’État primait tout".
           
       Innocent XIII (1721-1724) qui lui succéda "eut la douleur de voir le nouveau souverain [de Naples et Sicile, appartenant pourtant au Saint-Siège, mais que l’Autriche s’était attribués], remettre en usage les privilèges supprimés par Clément XI. Il n’obtint pas davantage la restitution de Comacchio, ni des droits de suzeraineté du Saint-Siège sur Parme et Plaisance, revendiqués par Charles VI, à l’exemple de ses prédécesseurs, comme fiefs impériaux. Il mourut déjà le 7 mars 1724. Les efforts de ce pontife, humble et doux aux pauvres gens, s’étaient brisés contre des forces politiques sans cesse grandissantes qui tenaient pour peu de chose les droits du Saint-Siège.
           
        Benoît XIII (1724-1730) eut la gloire d’élever sur les autels le pape Grégoire VII, "le pape de génie, réformateur de l’Église au XIe siècle. L’office de la fête du saint, fixée par lui, en 1728, au 25 mai, souleva les récriminations des cours imbues de gallicanisme. Grégoire VII n’avait-il pas humilié Henri IV à Canossa ? Ces souvenirs d’une époque où le Saint-Siège dominait les roys étaient INTOLÉRABLES aux souverains qui se flattaient de l’avoir abaissé. Benoît XIII supprima par gain de paix le deuxième nocturne de l’office. Il n’en fut point récompensé et ne peut empêcher aucune des mesures prises par les tenants du «despotisme éclairé» pour affirmer la mainmise de l’État sur l’Église.
           
        "Les tribulations du siège apostolique continuèrent sous le pontificat du successeur de Benoît XIII [= Clément XII, 1730-1740]. Le conclave, qui suivit sa mort, fut orageux et rendit manifeste, une fois de plus, l’influence des cours absolutistes. La situation politique de l’Europe devenait, en même temps, plus embrouillée. L’entrée en scène de nouveaux États (le royaume de Sardaigne, le royaume de Prusse et l’empire russe), et l’extinction prochaine des maison italiennes, les Médicis et les Farnèse, ne pouvaient qu’allumer de nouvelles convoitises. Une première candidature au trône pontifical préconisée par les «zelanti» ["l’escadron volant"] échoua devant l’exclusive de l’Espagne et de la France, gouvernées toutes deux par les Bourbons. L’union finit par se faire, et Clément XII fut élu pape. Sa diplomatie ne connut guère que des déboires. En 1731, à la mort du dernier Farnèse, le duc Antoine, il vit l’Espagne s’emparer de Parme et de Plaisance sans daigner lui faire hommage pour ces fiefs de l’Église. La même année, la République de Gênes repoussa avec dédain la médiation du pape dans un différend qu’elle avait avec la Corse. [Puis, lors de la guerre entre la France et l’Autriche, suite à la succession de la Pologne], le territoire pontifical fut violé à plus d’une reprise par les belligérants. [Lors du règlement du différent,] le pape fut traité sans ménagement par le roy d’Espagne et celui des Deux-Siciles, il dut se résigner à donner, sans conditions, l’investiture de la Sicile à son nouveau souverain. Clément XII avait cru que sa condescendance serait payée de retour. Il ne tarda pas à être détrompé. Le jeune roy des Deux-Siciles, Charles III, dirigé par son ministre Tanucci, adversaire résolu des droits de l’Église, ne cessa pas d’élever des prétentions en matière ecclésiastique et réclama le droit de nommer à tous les bénéfices. Le pape dut consentir en même temps de nouveaux sacrifices au roy d’Espagne lors de la conclusion d’un concordat. La Sardaigne, enfin, rompit les relations diplomatiques avec le Saint-Siège qui n’avait pas voulu lui concéder des avantages analogues à ceux qu’avait arrachés Charles III. L’attitude des cours où régnaient des Bourbons causait la douleur la plus vive au chef de l’Église. Le «bourbonnisme», qui tendait à unir étroitement les États néo-latins, pays catholiques, était pénétré d’un esprit qui s’inspirait de la seule «raison d’État», sans aucun égard pour les droits de l’Église. C’était la pure doctrine des vieux légistes et des humanistes, si bien comprise et appliquée lors de la Réforme, et comme l’a dit un grand historien français, Albert Sorel, «la vieille doctrine du salut public telle que Rome l’avait pratiquée et enseignée au monde» [!]. Elle revient à dire que tout se réduit finalement à la puissance. La papauté n’était plus de taille à s’y opposer et la diffusion de tels principes était d’autant plus dangereuse qu’elle coïncidait avec une licence croissante de mœurs et de pensée.
           
        "Un long pontificat fit suite, après une longue vacance du Saint-Siège, au règne de Clément XII. Benoît XIV (1740-1758), élevé au pontificat suprême à une époque où l’absolutisme des cours rendait plus ardue que jamais la tâche du Vicaire du Christ, prit le pouvoir avec une volonté arrêtée de modération qui devait même lui faire encourir le reproche d’une condescendance excessive. L’esprit d’un siècle qui tournait de plus en plus ses forces contre le christianisme, le «despotisme éclairé» des monarques et des cours, rendaient de plus en plus difficile au pape l’accomplissement de ses devoirs de souverain et de père commun des fidèles. Benoît XIV se rendait compte de la faiblesse de l’État pontifical, du prestige déclinant du Saint-Siège et des exigences des puissances, anciennes et nouvelles, grandes et moyennes, qui se partageaient l’Europe. Il estima qu’il valait souvent mieux plier que rompre et que, pourvu que l’essentiel fût sauvegardé, il était sage d’aller jusqu’à l’extrême limite des concessions. C’est aux circonstances dont il n’était pas le maître, et non pas à sa politique, qu’il faut imputer les tribulations de l’Église dont il fut le premier à souffrir. La condescendance du Saint-Père se manifesta dès les débuts de son pontificat dans les négociations qu’il entreprit avec les cours en matière de bénéfices ecclésiastiques et de concordats. La Sardaigne, Naples, le Portugal et l’Espagne reçurent les droits les plus étendus pour l’investiture des évêques, la collation des bénéfices et la juridiction ecclésiastique ; dans tous ces pays, le pape consentit, par gain de paix, à la suppression d’antiques immunités de l’Église. Le pape tint parole, mais on ne saurait en dire autant des gouvernements de Turin, de Naples, de Lisbonne et de Madrid qui soulevèrent à plus d’une reprise des difficultés. Le roy de Sardaigne, gratifié du titre de «vicaire du Saint-Siège», celui de Portugal, honoré du nom de «roy très-fidèle» et «sa Majesté Catholique» [Espagne], ne se gênèrent pas pour soumettre étroitement leurs clergés à la couronne. Le roy d’Espagne obtint le droit de nommer à douze mille bénéfices, le pape ne s’en réservant que... cinquante-deux. De hauts dignitaires ecclésiastiques n’étaient pas les moins ardents à réclamer pour leur souverain les privilèges les plus étendus. La guerre de la succession d’Autriche plaça le Souverain pontife dans une situation pleine de périls. Les alliances contractées par la Prusse, celle française surtout, avaient transformé le conflit en guerre européenne et nul ne songeait à respecter, le cas échéant, la neutralité du territoire pontifical. Autrichiens et Espagnols ne s’en firent pas faute et le pape, toujours plein d’esprit, disait dans une lettre au cardinal de Tencin, son ami, qu’il pourrait écrire un traité sur le martyre de la neutralité [!]. Parme, Plaisance et Guastalla furent cédés à l’infant d’Espagne sans qu’on se fût préoccupé le moins du monde de la suzeraineté pontificale.
           
        "[À la mort de Benoît XIV] la question du maintien ou de la suppression de la Compagnie de Jésus domina le conclave [il faut bien saisir que cette question est capitale : elle fut le mauvais prétexte dont se servit le pouvoir politique absolutiste pour annihiler complètement et sans retour de la face de la terre le pouvoir spirituel sous la botte du temporel, après toutes les tentatives que nous venons de voir, qui n’étaient que des coups de boutoir importants, mais aucun d’entre eux n’enlevant la place, comme le fera l’affaire de la suppression des Jésuites]. Aussi l’élection du cardinal Cavalchini, connu pour son attachement envers les fils de saint Ignace échoua-t-elle devant l’exclusive prononcée contre lui par le cardinal de Luynes, au nom du roy de France. Le représentant de Louis XIV s’était fait l’interprète de toutes les cours bourboniennes. L’accord finit par se faire, et Clément XIII (1758-1769) fut élu. Le caractère du nouveau pontife était tout autre que celui de son prédécesseur. Dans sa première allocution au Sacré-Collège, il affirma sa volonté de défendre énergiquement les droits du Saint-Siège. Il allait aussitôt en donner la preuve dans l’affaire des jésuites. Le Saint-Siège se trouvait dans la position la plus difficile. Il n’ignorait pas que des réformes étaient devenues nécessaires, mais il ne voulait pas les précipiter. Aussi, Clément XIII se trouva-t-il, dès le début de son pontificat, aux prises avec l’affaire qui devait en être jusqu’au bout le tourment : la suppression de la Compagnie, réclamée par presque toutes les cours catholiques. «On ne devait voir, écrit Albert Sorel, qu’une ligue se former au 18e siècle : c’est la ligue des puissances du Nord contre la Pologne ; et on ne devait apercevoir qu’une circonstance où les puissance de l’Ouest et du Midi poursuivaient de concert un objet commun : c’est la suppression de l’ordre des jésuites». L’offensive commença au Portugal". Un attentat commis contre le roy, nullement suscité par les jésuites comme on s’en doute, leur fut pourtant imputé par le pouvoir malintentionné. "Pombal [Jean Lombard cœur de roy nous apprend dans son volumineux ouvrage La montée parallèle du capitalisme et du marxisme, que ce premier ministre du roy du Portugal était un des pires disciples des Illuminés de Bavière...], ennemi déclaré de la Compagnie, prit contre elle les mesures les plus rigoureuses. Il en fit incarcérer un grand nombre, expulsa les autres du royaume et des colonies, les fit jeter sur les côtes des États pontificaux et mit la main sur les biens de l’ordre. Toutes les démarches du pape en leur faveur restèrent vaines ; le nonce à Lisbonne, Acciailoli, connu pour ses sympathies envers les pères, reçut ses passeports (1760). Le Saint-Père tenta de nouveaux efforts en priant l’Espagne de servir de médiatrice. Rien n’y fit et Pombal répondit à ces tentatives de paix en faisant conduire au bûcher, comme hérétique obstiné, le P. Gabriel Malagrida, un vieillard de plus de soixante-dix ans.
           
        "L’exemple du Portugal fut bientôt suivi par la France. Un attentat manqué contre Louis XV en fut le prétexte, bien que les jésuites n’y fussent pour rien [encore un attentat contre le roy d’un pays duquel on veut expulser les jésuites ? Tiens, tiens, curieux....], et la banqueroute d’une maison de commerce dirigée par le P. Lavalette [sans qu’il fut de sa faute] déclencha les poursuites. Le 6 août 1762, Louis XV prononça la dissolution de l’ordre comme contraire à l’État et nuisible à la religion et à la morale et le bannit à jamais du royaume ; ses biens furent confisqués. Le pape eut beau déclarer nuls les arrêts du Parlement par son allocution consistoriale du 3 septembre 1762, un décret royal du 1er décembre 1764 donna force de loi aux décisions du Parlement. Clément XIII intervint alors solennellement en sa qualité de Pasteur suprême pour défendre l’ordre si durement frappé. Par la constitution Apostolicum pascendi munus du 7 janvier 1765, il en loua les mérites, etc. Peine perdue. Les ennemis des jésuites firent alors campagne en Espagne pour déterminer le gouvernement de Charles III à les traiter comme l’avaient fait ceux de Portugal et de France [toutes ces cours sont bourboniennes...]. Le roy était d’ailleurs imbu des mêmes principes d’absolutisme que ceux de Lisbonne et de Versailles. La rupture était à la merci d’un incident [qui, bien entendu, fut trouvé : sur faux-témoignage, une émeute fut à tort imputée aux jésuites ("tout le monde mentait dans ce siècle de mensonge", commente notre auteur !) ; la suite, ne traîna pas : expulsion des jésuites, par décret royal du 27 février 1767]. La protestation de Clément XIII fut de nul effet ; le roy d’Espagne lui répondit qu’il avait des motifs fondés pour agir comme il l’avait fait. Il déclara au Souverain Pontife que les pères seraient emmenés dans les États de l’Église à l’exemple de ce qu’avait fait le Portugal. Le pape ayant répondu qu’il ne pouvait pas se charger de leur entretien, Charles III les débarqua en Corse où ils menèrent une existence misérable jusqu’à ce qu’un certain nombre d’entre eux eût finalement trouvé asile sur le territoire pontifical.
           
        "Il n’était pas difficile de prévoir que cette politique trouverait des imitateurs dans les autres États bourboniens, Naples et Parme [ce qui fut fait en 1767 & 1768, à la manière brutale et injuste des autres cours bourboniennes]. À ces mesures de spoliation devaient bientôt s’ajouter d’autres vexations et d’autres injures à l’égard de la Compagnie et de la papauté qui avait pris sa défense. Le gouvernement de Parme souleva la question de la suzeraineté du pape sur le duché à laquelle le Saint-Siège n’était nullement disposé à renoncer. Du Tillot, ministre du duc de Parme, prit alors des mesures qui restreignaient les privilèges ecclésiastiques en matière d’impôts et de juridiction, au mépris du droit canonique alors en vigueur, et soumit au placet les actes pontificaux. Les démarches de Clément XIII s’étant avérées sans effet, il se décida, par un bref du 30 janvier 1768, à frapper de nullité les lois ducales qui portaient atteinte aux droits de l’Église ; leurs auteurs encouraient les censures prévues par la bulle célèbre In coena Domini, publiée par Urbain V en 1364 et complétée par saint Pie V. L’attitude du pape, que n’approuvaient pas tous les membres du Sacré-Collège, souleva la colère des cours bourboniennes. Elles voulurent y discerner une atteinte à la souveraineté des États et une vengeance des jésuites. Le bref pontifical fut interdit, et le Saint-Siège, menacé de représailles s’il ne reconnaissait pas la souveraineté du duc de Parme et Plaisance. Clément XIII déclara que sa conscience lui interdisait de rapporter la mesure qu’il venait de prendre. Les menaces furent aussitôt mises à exécution : la France saisit Avignon et le Comtat Venaissin ; Bénévent et Ponte-Corvo furent occupés par les troupes espagnoles et napolitaines. Le pape demeura ferme et se contenta d’adjoindre le cardinal Negroni, adversaire des jésuites, au cardinal Torrigiani, secrétaire d’État, qui était leur ami. Les cours de Madrid, Paris et Naples, ne se déclarèrent pas satisfaites. Au mois de janvier 1769, leurs ambassadeurs présentèrent au Souverain Pontife, une note où elles le pressaient de supprimer la Compagnie de Jésus. «Cela mène le Saint-Père au tombeau», écrivait le cardinal Negroni. Quelques jours plus tard, le 2 février 1769, l’apoplexie foudroyait le doux et pieux vieillard de soixante-seize ans ; son calvaire était fini. Il n’avait laissé passer sans protester aucun des attentats dont la Foi et la papauté avaient été les victimes. Mais le plus souvent ses protestations n’avaient fait qu’aviver les ressentiments qui plongeaient leurs racines dans l’esprit d’un siècle rebelle à tout frein moral et religieux. Clément XIII eut du moins l’honneur d’accomplir sa tâche sans défaillance".
           
        Puis, fut élu le malheureux Clément XIV (1769-1774) qui promulgua pour l’Église universelle, sauf exception russe, le décret de suppression des Jésuites. "Son règne a été dominé tout entier par l’affaire de la suppression des Jésuites, et il a été, pour cette raison, l’un des papes les plus discutés de l’histoire. Les ennemis de la Compagnie ont exalté en lui l’homme courageux et tout pénétré d’esprit évangélique qui avait eu assez d’héroïsme pour détruire un ordre dont les intrigues faisaient un tort mortel à l’Église ; les amis des jésuites, au contraire, n’ont pas cessé de déplorer la faiblesse et la duplicité du pontife qui, pour complaire aux cours, terrorisé par l’ambassadeur d’Espagne, Moniño, comte de Florida-Blanca, se serait résigné à détruire un institut deux fois séculaire qui est le plus ferme soutien de la papauté. Si l’homme, quelles que soient les circonstances, reste maître de son choix, ce qui est le propre du libre-arbitre, on ne saurait méconnaître le rôle de ces circonstances. Et qui pourrait nier qu’elles ne fussent alors plus difficiles que jamais ? [On ne saurait certes juger le pauvre pape Clément XIV ; cependant, pour en rester aux actes eux-mêmes, l’acte de la suppression des jésuites était la capitulation décisive et formelle du pouvoir spirituel devant le pouvoir politique, et voilà pourquoi il fut si grave et pourquoi il tourmenta si fort l’infortuné pape ; on sait qu’au conclave devant l’élire, il avait cru trouver une formule astucieuse contentant tout le monde, tout en cachant ses intentions de condamner ou non les jésuites s’il était élu, ce qui, par le jeu des influences, lui permit d’être effectivement élu pape : s’il commit là une faute, Dieu sait assez s’il en fut puni dès cette terre ; sur cette page très-douloureuse, on lira avec profit l’ouvrage de Crétineau-Joly Clément XIV et les jésuites].
           
        "En dépit des compliments et des flatteries dont le pape fut l’objet après quelques premières mesures conciliatrices [qu’il prit dans les premiers jours de son élection], l’orage ne devait pas tarder à éclater. Le bref du 12 juillet 1769, encourageant les missions des Jésuites dans les pays infidèles, en fut l’occasion. Les cours étaient décidées depuis longtemps à poser un ultimatum au Saint-Père lorsque, le 22 juillet, le cardinal de Bernis lui remit une note presque comminatoire de la France, de l’Espagne et de Naples, réclamant la suppression de la Compagnie. Choiseul [... lui aussi franc-maçon] avait indiqué à Bernis un délai de deux mois dans lequel le pape devrait s’exécuter [!]. «Ce terme passé, écrivait le ministre au cardinal, on ne pourra empêcher les souverains de la maison de Bourbon de rompre toute communication avec un pape, ou qui nous amuse, ou qui nous est inutile». Clément XIV chercha naturellement à gagner du temps. Pour donner aux Couronnes des gages de ses dispositions conciliantes, le pape prit alors un certain nombre de mesures contre les Jésuites dans les États pontificaux. L’ambassadeur d’Espagne, Moniño, répétait cependant, implacable : «C’est en vain qu’on tourmente ces pauvres gens. Une seule parole suffit : l’abolition». En même temps, on était à l’été 1772, l’ambassadeur de l’Escurial ne se gênait pas pour menacer le pape de rompre les relations et de supprimer tous les ordres religieux en Espagne s’il ne se décidait pas promptement ; le danger d’un schisme apparaissait. En retour de sa condescendance, on faisait entrevoir au pape la restitution d’Avignon et de Bénévent : «Le pape, raconte Bernis, répondit qu’il ne trafiquait pas dans les affaires». C’est seulement à la fin de novembre 1772 que Clément XIV cessa la résistance. Il promit de supprimer l’ordre. La signature du bref eut lieu, après longue et mûre réflexion et à la suite de nouvelles instances de Moniño, dans la première moitié de juin 1773 ; mais il porte la date officielle du 21 juillet ; c’est le document célèbre qui commence par les mots : Dominus ac redemptor noster et qui fut publié le 16 août au Gèsù, la célèbre église des Jésuites à Rome [ce qui est incroyable, c’est que le Bref ne fut pas reçu dans les cours... protestante et schismatique de Prusse et de Russie ! Frédéric II et Catherine II "interdirent la promulgation du bref et la Compagnie de Jésus continua d’exister légalement" dans ces pays non-catholiques !]. Un événement de cette portée ne pouvait manquer de susciter aussitôt et dans le cours des temps, les appréciations les plus diverses et les plus opposées".
           
        En fait, la lutte déjà plus que séculaire entre le pouvoir politique autrefois très-chrétien regimbant comme des furieux sous le doux joug du Christ d'une part, et son Vicaire sur la terre voulant maintenir ce joug de salut d'autre part, avait été toute récapitulée dans cette question de la suppression ou non des jésuites. Il faut bien comprendre que la capitulation de Clément XIV était l’acte de reddition, d’abdication pure et simple, sans condition, de la papauté devant les puissances politiques absolutistes... "Mais il ne faut pas oublier surtout quelle pression fut exercée sur le Saint-Père par les cours bourboniennes qui le menaçaient d’un véritable schisme s’il ne cédait pas. L’effet immédiat de la suppression ne tarda pas à se faire ressentir sur les pays catholiques d’une manière que le Saint-Siège, dans la pureté de ses intentions, n’avait pas prévue. Ranke, le grand historien protestant, a écrit très justement : «Les jésuites avaient été persécutés et haïs surtout parce qu’ils défendaient la doctrine la plus rigoureuse de la suprématie du Saint-Siège. ON AFFECTA DE CROIRE QUE LE PAPE, EN LES LAISSANT TOMBER, RENONÇAIT À CETTE DOCTRINE ET À SES CONSÉQUENCES. L’opposition philosophique et religieuse avait, disait-on, remporté la victoire ! LES BOULEVARDS EXTÉRIEURS ÉTAIENT PRIS ! L’attaque du parti victorieux contre la forteresse devait recommencer avec encore plus d’énergie». Un redoublement d’hostilité contre le catholicisme ne devait pas tarder à se produire après une accalmie superficielle et momentanée. Clément XIV eut bien la satisfaction de se voir restituer Avignon, Bénévent et Ponte-Corvo, mais il avait auparavant le chagrin d’assister à l’alliance de la Prusse, de l’Autriche et de la Russie pour se partager la Pologne (1772). La santé du pape s’altéra rapidement après les évènements de l’été 1773. Les prophéties d’une certaine Bernardine Baruzzi, qui annonçait en termes apocalyptiques la mort prochaine du pape, lui inspirèrent une terreur qui grandit jusqu’à l’issue fatale. Il languit depuis le printemps jusqu’au 21 septembre 1774 où il expira pieusement [assisté miraculeusement par saint Alphonse de Liguori qui s’était déplacé par miracle, en bilocation, dans les appartements fermés du pape, comme le révèle l’historien Crétineau-Joly dans l’ouvrage sus-mentionné : ce qu’évidemment, l’auteur, un tantinet libéral, ne dit pas...].
           
        À cause de notre époque de désacralisation de l’Histoire, de naturalisme tous azimuts, il ne me semble pas inutile de citer au long cette intervention surnaturelle. L'historien Rohrbacher la rapporte ainsi : "Lorsqu’en 1773, le saint évêque [saint Alphonse-Marie de Liguori] reçut le bref de suppression [des jésuites], il adora quelque temps en silence les jugements de Dieu dans la conduite de son Pontife ; puis, prenant la parole : «Volonté du pape, s’écria-t-il, volonté de Dieu !» et l’on n’entendit plus de sa bouche une seule parole qui manifestât sa peine intérieure. Un jour, plusieurs personnes de distinction voulant jeter du blâme sur les dispositions de Clément XIV : «Pauvre pape ! s’écria le saint évêque, que pouvait-il faire dans les circonstances difficiles où il se trouvait, tandis que toutes les couronnes demandaient de concert cette suppression ? Pour nous, nous ne pouvons qu’adorer en silence les secrets jugements de Dieu et nous tenir en paix [bien noter que le saint excuse le pape…]. Je déclare cependant que, ne restât-il qu’un seul Jésuite au monde, il suffirait pour rétablir la compagnie» ― «Priez pour le pape, écrivait-il le 27 juin 1774. Dieu sait si je compâtis à ses afflictions !» ― «Priez pour le pape, dit-il encore dans une lettre, ainsi que je ne cesse de le faire de mon côté. Priez pour le pape ; on m’a écrit de la Romagne qu’il désire la mort, tant il est affligé de toutes les traverses qui tourmentent l’Église» ― «Les affaires de l’Église, écrit-il le 12 juin, vont de mal en pis. Mgr Rosetti, qui vient de Rome, m’a dit des choses à faire pleurer. Le pape est dans la plus grande affliction ; il se tient toujours enfermé ; il ne donne audience presque à personne et n’expédie aucune affaire» ― «… Je ne fais que répéter : Pauvre pape ! pauvre pape, qui est affligé de toutes parts ! Je ne cesse de prier pour lui, afin que le Seigneur vienne à son secours».
           
        "(…) Dans la matinée du 21 septembre 1774, saint Liguori, après avoir fini sa messe, se jeta, contre sa coutume, dans son fauteuil ; il était abattu et taciturne, ne faisant aucun mouvement, n’articulant aucune parole et ne demandant rien à personne. Il resta dans cet état tout le jour et toute la nuit suivante, et durant tout ce temps il ne prit aucune nourriture, et ne chercha point à se déshabiller. Les domestiques, qui voyaient sa situation, ne sachant ce qui allait arriver, se tenaient debout à la porte de sa chambre, mais aucun n’osait entrer. Le 22 au matin, il n’avait pas changé d’attitude ; on ne savait plus que penser. Le fait est qu’il était dans une extase prolongée. Cependant, lorsque l’heure fut plus avancée, il agite la sonnette pour annoncer qu’il veut célébrer la sainte messe. À ce signe, ce n’est pas seulement frère Antoine qui vient comme de coutume, mais toutes les personnes de la maison accourent avec empressement. En voyant tant de monde, le saint demande avec un air de surprise ce qu’il y a — Ce qu’il y a ? lui répondirent-ils ; depuis deux jours, vous ne parlez plus ni ne mangez, et vous ne nous donnez plus aucun signe de vie. — C’est vrai, répliqua le saint évêque, mais vous ne savez pas que j’ai été assister le pape qui vient de mourir. — On crut que ce n’était qu’un songe. Cependant, on ne tarda pas à recevoir la nouvelle de la mort du pape Clément XIV, qui avait passé à une meilleure vie le 22 septembre, à sept heures du matin, au moment même où saint Liguori avait repris ses sens (Mém. sur la vie et la congrég. de saint Liguori, t. 2, l. 3, c. 54, p. 445, sq.)" (rapporté par Rohrbacher, t. XXVII, pp. 26-28)]".
           
        Et nous arrivons à Pie VI (1775-1799), recueillant la dramatique succession de Clément XIV, jusqu'à ce que mort s’ensuive, c'est bien le cas de le dire en ce qui concerne ce dernier pape d'Ancien-Régime qui finit sa vie par un quasi-martyre. Bien que ne se faisant nulle illusion sur le danger que courait l’Église et les nations chrétiennes, "le Saint-Père ne se doutait pas cependant que la tempête fût si proche. Il était aux prises, pour l’heure, avec des États qui contestaient sur des questions diverses les droits de l’Église. Les empiètements de Joseph II sur les droits de l’Église en Allemagne lui causèrent de graves soucis. Sans exposer ici les théories joséphistes [qui étaient un plagiat de celles gallicano-jansénistes françaises], on peut affirmer que c’était encore une forme de la crise révolutionnaire que le Saint-Siège rencontrait en Allemagne. Les réformes du fils de Marie-Thérèse étaient entreprises dans une bonne intention [?], mais elles procédaient d’une idée erronée que des réformes ecclésiastiques peuvent être poursuivies sous les auspices de la seule autorité civile. Sitôt après la mort de l’impératrice-mère (1780), Joseph II prit avec une hâte fébrile une série de mesures radicales. Il soumit la publication de toutes les bulles pontificales au placet impérial, supprima les monastères dont le but ne tendait pas à l’éducation nationale telle qu’il l’entendait, mit l’instruction publique, y compris celle des clercs, aux mains de l’État, interdit aux couvents toute relation avec des supérieurs étrangers, supprima des confréries, abolit des processions, alla jusqu’à régler le nombre des messes et celui des cierges qui devaient être allumés à certains offices. «Mon frère le sacristain !» disait de Joseph II, Frédéric II, l’ironiste couronné. Pie VI garda une longue patience. Puis, voyant que ses représentations étaient sans effet, il prit le parti de se rendre à Vienne pour s’entretenir avec l’empereur. Le voyage eut lieu au mois de mars 1782. Mais le pape, de retour à Rome, eut la douleur de constater que l’empereur persistait dans sa politique. L’horizon s’assombrit de nouveau quelques années plus tard, le fébronianisme ayant inspiré les électeurs ecclésiastiques de l’Empire à réclamer la suppression de la juridiction des nonces en Allemagne. Un synode national se préparait, un schisme menaçait d’éclater, lorsque les soldats de la République parurent sur le Rhin".
           
        Nous voici donc parvenus à la Révolution qui, sous cet angle, apparaît vraiment à la fois comme l’aboutissement logique et comme le châtiment d’une Société très-chrétienne qui avait tout-à-fait prévariqué dans la chose de la Foi.
           
        Tout cet historique que j'ai voulu faire, le lecteur en comprend bien la raison, montre le contexte qui explique pourquoi les papes et les grands-clercs cherchèrent, on pourrait dire furent forcés et acculés à chercher, un nouvel ordre politique universel en se passant des roys et nobles très-chrétiens, puisqu’ils étaient devenus pratiquement païens voire antichrists ; quand bien même cela ne saurait les excuser d’avoir porté leur choix sur un système républicain-démocrate constitutionnellement athée qui était pire encore, il s’en faut extrêmement, que celui qu’ils prétendaient ainsi remplacer, sans même parler de l'atteinte mortelle de ce nouveau système politique constitutionnel à la constitution divine de l'Église, ainsi qu'aux fondements mêmes de la société.
 
En la fête de Saint-Pierre-AUX-LIENS,
ce 1er Août 2017,
Vincent Morlier,
Écrivain catholique.
 
 
 
01-08-2017 15:58:00
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